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Message par _Spin Lun 2 Nov 2009 - 10:17

Bonjour,

Je suis de nouveau embarqué dans l'écriture d'un roman. Ci-après l'extrait (plusieurs pages d'ailleurs) qui donne le ton. Le narrateur, cadre au chômage, répond à un entretien en tête-à-tête pour une place de directeur du personnel. Il se croit accepté par le patron, mais non... suite :

— Qu'est-ce qui te prend ? Tu n'imaginais quand même pas que tu avais le profil ? Même comme chef du personnel, et d'une boîte trois fois plus petite, tu ne ferais pas le poids !
Aurais-je affaire à un manipulateur, à un spécialiste de la douche écossaise ? Dans ce cas, il ne sait pas encore que j'en ai vu d'autres, à commencer par ma femme. Les yeux dans les yeux, je réponds du tac au tac :
— Peut-être, mais alors qu'attendez-vous de moi ? Pourquoi m'avoir retenu ? Avez-vous une place à me proposer ?
— Dans cette entreprise, non.
— Alors à quoi bon ?
— Cette entreprise, c'est déjà le passé pour moi. Toi, tu es l'avenir...
— Vous envisagez de créer une autre société ?
— Non... en tout cas pas au sens où on l'entend d'ordinaire. Moi non plus, je n'ai pas le profil, je te l'ai déjà dit. Mais si Dieu m'a permis, ou plutôt contraint, de diriger celle-ci, c'était pour me préparer à tout autre chose. Voyons mon petit Pierre, qu'est-ce que Dieu peut demander de plus important à un homme ?
— D'entrer en religion ??
— Le mot religion est juste, mais le verbe entrer ne l'est pas. Il implique, sauf erreur de ma part, que cette religion existe déjà.
— Vous voulez fonder une religion ??
— Tu comprends vite, c'est bon signe. Ce n'est pas moi qui veux la fonder, je m'en passerais bien ! C'est Lui qui exige ça de moi !
— Et moi alors, dans tout ça ??
— Il se trouve que... je t'ai reconnu...
Tourbillon dans ma tête. C'était donc tout simplement cela, il me connaissait, même s'il n'avait pas retenu ou pas su mon nom puisqu'il a dû le lire sur le CV. Mais je ne suis pas sorti des bizarreries. Je réponds naturellement :
— Excusez-moi, je ne me souviens pas de vous avoir rencontré...
— C'aurait été trop beau ! C'aurait été tenter Dieu que de le demander ! Il suffit bien que moi je te reconnaisse...
— Je ne comprends vraiment pas...
— Disons qu'un certain nombre de signes font que je t'ai reconnu entre tous. Cela fait des années que je t'attends. Ton visage m'est plus familier que celui de ma mère, tellement je t'ai vu en rêve, en des dizaines de rêves !
Il a donc rêvé de moi. Et il en remet.
— Même cette verrue que je vois sur ta main, je la connaissais, avant même sans doute qu'elle n'apparaisse... et si je te disais toutes les coïncidences, tous les petits clins d'œil de la volonté suprême...
— Enfin je n'y connais rien ! Mes parents m'ont fait baptiser, mais plutôt par inadvertance... la religion, ça ne m'a jamais attiré, je n'y comprends strictement rien !
— Justement : tu n'as pas l'esprit encombré par les préjugés, détritus et archives d'une religion dépassée. Car elles le sont toutes, dépassées, c'est la nôtre qui sauvera le monde, s'il peut encore être sauvé...
— Ecoutez, mon objectif prioritaire en ce moment, c'est de retrouver un emploi pour nourrir ma famille...
— Je compte bien te payer !
Quoi dire ? Je me tais, accablé, en me demandant si je ne ferais pas mieux de m'enfuir tout de suite. D'autant que midi est passé et que je commence à avoir faim. Je me dirige vers la porte. Il crie :
— Mais où vas-tu ?
— Ecoutez, il est possible que tout ceci ne soit qu'une comédie pour savoir ce que j'ai dans la tête et dans le ventre, une façon un peu tordue de recruter. Et pas plus idiote après tout que de scruter mon thème astral ou de me faire admirer les sempiternelles taches d'encre du test de Rorschach, où tout le monde sait ce qu'il faut voir et ne pas voir. Mais à présent, si vous ne me dites pas clairement ce que vous avez à me proposer, je m'en vais !
— Ce que j'ai à te proposer, je viens de te le dire. Et il peut m'arriver de plaisanter ou de ruser, mais jamais avec ça ! Ce serait un blasphème !
Il devient presque suppliant... moi aussi d'ailleurs, je suis tenté de le supplier d'abandonner cette comédie, ce délire... j'arrive à articuler :
— Mais enfin...
— Ton prénom n'est-il pas déjà un signe ? « Tu es Pierre et sur cette pierre... » Et je vois que tu as été attaché de presse. Quoi de plus utile pour répandre un message ?
— Attaché de presse... ce n'est pas ce que j'ai réussi le mieux dans ma carrière...
Je n'exagère pas. Mon passage dans cet honorable métier n'a duré que quelques semaines. Il est vrai que ma patronne d'alors était une redoutable manipulatrice, j’y suis voué ou je les reconnais mieux que les autres. Il est vrai également que la communication est le domaine par excellence qui attire les manipulateurs et manipulatrices. Mais lui, manipulateur ou pas, s'accroche :
— Justement ! Quand Dieu veut te faire progresser, Il te fait casser la gueule ! Et Il t'a rendu humble, c'est très bon signe !
— Tous ceux qui se cassent la gueule ne fondent pas de religion !
— Mais tous ceux qui fondent des religions se sont cassé la gueule un jour. Encore un signe que c'est bien toi, tu résistes !
— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ??
Je suffoque, mais lui reste imperturbable, et il croise les mains sur son ventre, ce qui annonce, je le comprends de suite, un long discours.
— Regarde le Prophète Mahomet. Le premier message de l'Ange Gabriel lui tombe dessus, et qu'est-ce qu'il fait ? Il se croit devenu fou, il veut se tuer ! Et c'est l'Ange Gabriel qui l'en empêche ! Et après, longtemps après, de nombreux messages après, quand il s'est enfin résigné à prêcher, il ne l'a d'abord fait qu'en privé, le plus discrètement possible. C'est Omar qui l'a pratiquement obligé à parler en public.
À nouveau un doute m'effleure, qui me renvoie à mes doutes précédents : et s'il était sincère ? Si ce n'était pas seulement un test pour juger ma capacité à réagir ? Là, il lit une autre question quelque part sur ma figure, et il s'empresse d'y répondre :
— Si je suis musulman ? Au sens étymologique, qui obéit à Dieu, certainement, en tout cas j’essaie... mais c'est tout.
Je m'interrogeais plus sur sa santé mentale que sur son éventuelle religion. Mais je ne peux que le laisser continuer :
— Et Moïse aussi a résisté, devant le buisson ardent. Lui, plus malin, il a essayé de trouver une excuse. Il se plaignait d'avoir la langue « embarrassée », et il a négocié, négocié avec Dieu, et il a même obtenu une concession, une concession de Dieu ! Ce serait son frère, Aaron, qui parlerait au peuple. Mais je ne suis pas juif. Et Bouddha aussi, après avoir enfin atteint l'illumination suprême sous son figuier, a d'abord voulu la garder pour lui. Le chemin qu'il venait de suivre était tellement dur, tellement déconcertant aussi, aucun autre ne pourrait l'emprunter. Avec lui, Dieu a rusé, ne lui a demandé que le petit doigt. Il l'a d'abord convaincu d'aller au moins causer avec cinq de ses anciens copains. Ceux-là pensaient toujours, les malheureux, que les mortifications, flagellations et privations qu'ils s'infligeaient les conduiraient au But. Le futur Bouddha l'avait cru avec eux, et il était sur le point de crever de faim quand il avait craqué pour je ne sais plus quelle friandise que lui tendait une bergère dont le nom m’échappe. Les cinq autres l'avaient aussitôt rejeté avec mépris. Mais il ne leur en voulait pas, et il a bien voulu aller leur expliquer que si le plaisir conduit à la souffrance, la souffrance ne conduit pas pour autant à la libération, qu'il faut un juste milieu. Et à sa grande surprise, les cinq ont été convaincus, et ils ont voulu l'accompagner. Et lui n'avait pas le cœur à les rejeter, ni à rejeter tous ceux, par dizaines puis par milliers, qui ont voulu se joindre à son groupe de moines. Alors il s'est résigné à inventer pour eux un nouveau système. Et puis il a dû aussi s'occuper des gens mariés qui lui demandaient des tuyaux, savoir comment on peut ne pas rechercher les plaisirs mais ne pas les fuir non plus. Bref, il a fait sa religion sans s'en rendre compte, piégé ! Mais je ne suis pas bouddhiste. D'ailleurs ça ne veut rien dire, bouddhiste, il y a des dizaines de doctrines différentes qui revendiquent le nom de Bouddhisme, et qui n'ont à peu près rien de commun entre elles. Et Lao-Tseu aussi a résisté, et il a carrément fui le pays. Et c'est le douanier de service qui l'a obligé à déclarer sa doctrine avant de passer la frontière à tout jamais. Mais je ne suis pas taoïste. Et moi aussi j'ai résisté ! Je ne te raconterai pas comment j'ai fait, comment je me suis enfui, et comment Dieu m'a retrouvé... et Il n'a pas toujours eu la main douce, crois-moi !
Décidé à jouer le jeu jusqu'au bout, je demande encore, aussi tranquillement qu'il m'est possible :
— Et quelle est la doctrine ?
— Mais justement... c'est à toi de la fixer, et j'exige des résultats !
— Mais je ne sais même pas à quoi peut bien servir une religion...
— Je vais te raconter une histoire on ne peut plus authentique. Elle se passe en URSS, quand elle existait encore, quand le communisme y était tout puissant et l'athéisme de rigueur. Les dirigeants d'une certaine région étaient plongés dans la perplexité. On avait enquêté sur deux villages voisins. Dans le premier, les gens étaient sales, ivrognes, bagarreurs, vicieux, délinquants, aigris et j'en passe. Le plus grave était qu'ils n'atteignaient pas les sacro-saintes normes du Plan, donc qu'ils ne remplissaient pas leurs devoirs envers la société. Dans le deuxième, au contraire, les habitants étaient sobres, honnêtes, joyeux, doux, et travailleurs : ils dépassaient les normes du Plan ! Or les seconds n'étaient pas plus communistes que les premiers. Au contraire, ils s'étaient massivement convertis à je ne sais plus quelle secte baptiste. Voilà à quoi sert une religion ! Voilà pourquoi ton devoir est de constituer celle qui va sauver le monde, s'il peut encore l'être...


à+

_Spin
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Message par Geveil Lun 2 Nov 2009 - 10:37

C'est alléchant.... mais je me demande si tu vas t'en sortir avec la suite. Comme pour " Les illusions", il n'y aura sans doute pas de réponse, ce qui d'ailleurs est très bien, car la vie, c'est de s'interroger, pas de répondre, du moins pas définitivement.
Heureusement que je viens d'écrire " pas définitivement", car sinon, mon affirmation serait une réponse définitive qui s'annulerait elle-même. lol!
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Message par Invité Lun 2 Nov 2009 - 10:41


J'en suis à la lecture du premier, qui se dévore très agréablement, et je reconnais déjà le style, essentiellement axé sur le dialogue.

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Message par JO Lun 2 Nov 2009 - 11:22

j'aime bien les idées qui s'entrechoquent . Moins l'artifice du roman philosophique , mais c'est personnel: j'ai du mal avec le roman .
Cela dit, il y a du fond, dès le départ et on a envie de savoir comment ça va évoluer .La forme télévisuelle serait adaptée au style, en mariant le burlesque avec la profondeur .
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Message par _Spin Jeu 5 Nov 2009 - 15:06

Bonjour,

Merci pour les commentaires, allez, ça n'engage à rien, un autre pavé. Explication sommaire, notre héros pas encore embauché croit pouvoir consulter le premier psychiatre dont la plaque se présente pour parler de ce drôle de patron. Cet homme de l'art lui fait comprendre que cela ne se fait pas comme ça, de consulter pour autrui.

Spoiler:

Suite si on le mérite tongue

à+


Dernière édition par Spin le Ven 6 Nov 2009 - 11:32, édité 1 fois

_Spin
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Message par JO Ven 6 Nov 2009 - 11:15

j'aime bien ... ça te ressemble ? okey
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Message par _Spin Ven 6 Nov 2009 - 11:24

Bonjour,

JO a écrit:j'aime bien ... ça te ressemble ? okey
Merci, mais, heu... quoi ?

à+

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