Roman de Magnus - Extraits
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Roman de Magnus - Extraits
Gilet noir et nœud papillon sur chemise blanche, et sorte de sarouel noir pour les hommes, pantalon noir bouffant ou longue robe noire et chemisier blanc pour les dames, la chorale liégeoise invitée par la paroisse de Saint-Lorrain, en terre luxembourgeoise, venait de prendre place dans le chœur.
A l'avant-gauche, le maître de musique, petit quinquagénaire ridé aux lèvres désabusées, au regard enfiévré.
Assise à l'avant-droite, une jeune flûtiste aux longs cheveux de jais.
Et une guitariste d'une vingtaine d'années, coiffée court blond doré, aux yeux verts Véronèse décidés, résolus. Froide et scintillante walkyrie à la poitrine plantureuse, aux jambes d'un beau galbe sculptural, elle se singularisait par la port d'une mini-jupe noir nuit dégageant à peine le genou lorsqu'un instant avant elle se déplaçait pour les préparatifs, mais largement la cuisse lorsque, comme maintenant, elle était assise.
Fasciné, captivé, hypnotisé, je n'avais vu qu'elle durant tout l'office.
J'avais prêté l'oreille avec délice aux deux chants du Renouveau ; j'avais indiciblement goûté la saveur du lent 'gospodipomiluï' slavon, du classique pater latin, des hauts alléluïas portés avec enthousiasme par les grandes orgues archangéliques. J'avais communié avec ferveur et senti en moi, avec une particulière acuité , la transsubstantiation. Mais surtout et avant tout, je l'avais vue elle, l'ouïe et la vue au paroxysme de l'enchantement, tant cette jeune femme ne faisait qu'harmonieusement un avec les sons, les couleurs, le cérémonial ---et jusques avec les lumières tamisées par les vitraux, qui dansaient, sur l'assemblée, de légères rondes étincelantes.
Noir et blanc glacé et couleurs vives tièdes : comme une cantilène et un motet : le profane et le sacré en parfaite symbiose.
Lorsqu'à un moment donné, pour accorder sa guitare ---dont elle usait avec des gestes espagnols et précis---, elle avait tendu la jambe gauche, et que moi, estourbi par tant de puissante beauté, pris de vertige, l'œil fixe, la respiration courte, un long ravissement me chauffant la poitrine, j'avais aperçu, à côté de moi, le soupir résigné, presque démissionnaire, d'Anna --- j'aurais bien pleuré en secret avec elle, mais, en vérité, je n'éprouvais que de la joie : une joie sublime d'une espèce sauvage, inconnue jusqu'ici, nébuleuse et claire paradoxalement. Et Anna n'existait plus que de n'être trop là, discrète mais tenace dans son découragement, effacée dans sa détresse mais là quand même, toujours et encore là. Le péché que j'étais en train de commettre sans vergogne, je le livrais au sang et au pain purificateurs, après avoir dit bien haut :
- Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.
Je n'étais pas certain (encore actuellement, dans les transepts et sous les absidioles de Karnoth) de vouloir en guérir, cependant.
"Pourquoi vouloir guérir de cette folie ?" pensai-je violemment. Cette femme valait bien une messe, et cette messe valait bien une messe, et cette messe valait bien cette femme. Oh ! il serait de ces douces et enivrantes apostasies... --- Apostasier ? Devenir rénégat de quoi ? De tout, de rien, de tout et de rien, de moi-même s'il le fallait. D'Anna, de nous deux et du reste --- pour un instant, un seul instant d'ivresse totale avec cette femme venue d'ailleurs, du lointain de mes rêves, du bout de mon âme, du fond de mes fantasmes, --- cette femme descendue de ma jeunesse stérile.
Anna m'attendait à la sortie, blessée, inutile, assise sur l'herbe, toute menue sous la protection gigantesque des murs. "Ses lèvres bougent" observai-je, "elle prie". Peut-être est-ce Jésus qu'elle aurait dû rencontrer, au lieu de moi. Pour se faire moniale, se retrancher du monde des angoisses affectives, ne plus vivre que pour son Maître. S'abandonner au Père, cultiver un coin de jardin à l'ombre d'un couvent, jouir des jours en silence, simplement, vieillir en quiétude, ne plus se soucier d'ici-bas, se dépouiller des contraintes superflues, des questions infertiles, des problèmes inféconds.
Je m'émus à cette idée. Je me l'imaginai doucement penchée dans l'oratoire désigné par sa destinée de consacrée, absoute enfin du péché des affolés qui courent en tous sens pour amasser des trésors qui pourrissent dans les greniers et qu'ils n'emporteront pas dans le caveau, quoiqu'ils fassent.
A l'avant-gauche, le maître de musique, petit quinquagénaire ridé aux lèvres désabusées, au regard enfiévré.
Assise à l'avant-droite, une jeune flûtiste aux longs cheveux de jais.
Et une guitariste d'une vingtaine d'années, coiffée court blond doré, aux yeux verts Véronèse décidés, résolus. Froide et scintillante walkyrie à la poitrine plantureuse, aux jambes d'un beau galbe sculptural, elle se singularisait par la port d'une mini-jupe noir nuit dégageant à peine le genou lorsqu'un instant avant elle se déplaçait pour les préparatifs, mais largement la cuisse lorsque, comme maintenant, elle était assise.
Fasciné, captivé, hypnotisé, je n'avais vu qu'elle durant tout l'office.
J'avais prêté l'oreille avec délice aux deux chants du Renouveau ; j'avais indiciblement goûté la saveur du lent 'gospodipomiluï' slavon, du classique pater latin, des hauts alléluïas portés avec enthousiasme par les grandes orgues archangéliques. J'avais communié avec ferveur et senti en moi, avec une particulière acuité , la transsubstantiation. Mais surtout et avant tout, je l'avais vue elle, l'ouïe et la vue au paroxysme de l'enchantement, tant cette jeune femme ne faisait qu'harmonieusement un avec les sons, les couleurs, le cérémonial ---et jusques avec les lumières tamisées par les vitraux, qui dansaient, sur l'assemblée, de légères rondes étincelantes.
Noir et blanc glacé et couleurs vives tièdes : comme une cantilène et un motet : le profane et le sacré en parfaite symbiose.
Lorsqu'à un moment donné, pour accorder sa guitare ---dont elle usait avec des gestes espagnols et précis---, elle avait tendu la jambe gauche, et que moi, estourbi par tant de puissante beauté, pris de vertige, l'œil fixe, la respiration courte, un long ravissement me chauffant la poitrine, j'avais aperçu, à côté de moi, le soupir résigné, presque démissionnaire, d'Anna --- j'aurais bien pleuré en secret avec elle, mais, en vérité, je n'éprouvais que de la joie : une joie sublime d'une espèce sauvage, inconnue jusqu'ici, nébuleuse et claire paradoxalement. Et Anna n'existait plus que de n'être trop là, discrète mais tenace dans son découragement, effacée dans sa détresse mais là quand même, toujours et encore là. Le péché que j'étais en train de commettre sans vergogne, je le livrais au sang et au pain purificateurs, après avoir dit bien haut :
- Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.
Je n'étais pas certain (encore actuellement, dans les transepts et sous les absidioles de Karnoth) de vouloir en guérir, cependant.
"Pourquoi vouloir guérir de cette folie ?" pensai-je violemment. Cette femme valait bien une messe, et cette messe valait bien une messe, et cette messe valait bien cette femme. Oh ! il serait de ces douces et enivrantes apostasies... --- Apostasier ? Devenir rénégat de quoi ? De tout, de rien, de tout et de rien, de moi-même s'il le fallait. D'Anna, de nous deux et du reste --- pour un instant, un seul instant d'ivresse totale avec cette femme venue d'ailleurs, du lointain de mes rêves, du bout de mon âme, du fond de mes fantasmes, --- cette femme descendue de ma jeunesse stérile.
Anna m'attendait à la sortie, blessée, inutile, assise sur l'herbe, toute menue sous la protection gigantesque des murs. "Ses lèvres bougent" observai-je, "elle prie". Peut-être est-ce Jésus qu'elle aurait dû rencontrer, au lieu de moi. Pour se faire moniale, se retrancher du monde des angoisses affectives, ne plus vivre que pour son Maître. S'abandonner au Père, cultiver un coin de jardin à l'ombre d'un couvent, jouir des jours en silence, simplement, vieillir en quiétude, ne plus se soucier d'ici-bas, se dépouiller des contraintes superflues, des questions infertiles, des problèmes inféconds.
Je m'émus à cette idée. Je me l'imaginai doucement penchée dans l'oratoire désigné par sa destinée de consacrée, absoute enfin du péché des affolés qui courent en tous sens pour amasser des trésors qui pourrissent dans les greniers et qu'ils n'emporteront pas dans le caveau, quoiqu'ils fassent.
- Vos éventuels commentaires:
- Vous pouvez laisser un commentaire, donner votre avis et/ ou des points,
mais pas de questions sur l'histoire, ni du genre "qu'est-ce que l'auteur a voulu dire ?".
Vous pouvez aussi dire brièvement ce que vous avez ressenti (chacun ressentant un même texte différemment).
Merci.
Dernière édition par Magnus le Ven 13 Aoû 2021 - 17:10, édité 7 fois
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Avec Dieu, ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne sait jamais si ce n'est pas un coup du diable...
(Jean Anouilh)
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Personnellement, je me bornerai à dire que j'éprouve du plaisir à lire cet extrait. Je trouve qu'il est bien écrit et que la lecture en est fluide, qu'on se sent immédiatement pris dans le récit. Cool !
loofrg- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Je ressens une crainte : celle de lire bien des souffrances pour les deux protagonistes
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Merci pour vos réactions. Si d'autres en ont, n'hésitez pas, même les critiques négatives seront les bienvenues. N'ayez pas peur de me vexer.
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Il y a deux fois le mot "et" à la suite :
Il manque un espace après la virgule :comme une cantilène et et un motetsans vergogne,je le livrais
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- C'est comme si j'y étais... vous êtes très authentique.
Dodo- Seigneur de la Métaphysique
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Humeur : Aux anges…
Date d'inscription : 21/07/2021
Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Merci à Nuage pour les indices de correction de fautes de frappe, et aux autres pour leurs commentaires.
Au total jusqu'ici je retiens "on se sent immédiatement pris dans le récit " (…), "c'est comme si j'y étais."
https://www.forum-metaphysique.com/t12544-romans-de-magnus-extraits#638072
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Comme j'oublie toujours quelque chose...:
- Puisque c'est tombé sur le coup de 12:00 votre aventure... Alors j'ajoute une salve de 12 coups en cadeau!
P.S. Comme le décalage vous avantage, profitez aussi du taux de change...
Dodo- Seigneur de la Métaphysique
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Localisation : Alma - (Saguenay)
Identité métaphysique : Magicien distrait
Humeur : Aux anges…
Date d'inscription : 21/07/2021
Re: Roman de Magnus - Extraits
EXTRAIT 2
La première chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est l'unique salle. Elle sert à la fois de dortoir, de réfectoire et de pissoir.
Le dortoir a ceci de spécial qu'il est composé de trente lits disposés en trois rangées de dix lits. Le réfectoire a ceci de spécial qu'il n'est séparé du dortoir, à l'entrée, que par une large porte vitrée. Et le pissoir, enfin, a ceci de spécial qu'il n'est lui aussi séparé du dortoir que par une large porte vitrée. Ainsi peut-on tout à loisir surveiller les dormeurs, les mangeurs et les pisseurs. Je n'ai évidemment utilisé ce dernier mot que pour la rime, il s'agit de vécés, on peut tout aussi bien y déféquer qu'y uriner, et, autre particularité, ils ressemblent à des chiottes de western, ou plutôt leurs portes y ressemblent, vous voyez : ces portes de bistrots du dessous desquelles on voyait les pieds, dans le farwest, et par lesquelles sortaient éjectés, pour un oui ou pour un non, les bons, les brutes et les truands.
Cette salle est la salle des hommes, les femmes mangent, dorment et font leurs besoins dans la salle d'un autre pavillon, tout semblable à celui-ci, m'a-t-on dit, et les hommes y sont interdits.
La deuxième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est l'air et le physique de Sœur Curgarde, la maîtresse de ces lieux. Elle ressemble à un gigantesque éléphant fossile du quaternaire, autrement dit à un mammouth, elle porte le voile et un habit blancs, et elle a un drôle de regard, je ne sais pas, moi : comme quelqu'un qui veut vous scruter intensément, sans arrêt et sans bienveillance.
Le troisième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est que tout le monde a l'air nul, le personnel comme les malades, sauf que le personnel s'agite souvent et que les malades, eux, dorment souvent.
Quelqu'un, parmi les patients, sort de l'ordinaire, et c'est la quatrième chose qui m'a frappé en arrivant ici. Il s'appelle Lucien Guirsch, il doit avoir une trentaine d'années, on le surnomme "Le Gourou". Il est haut et maigre comme devait l'être le Baptiste au désert. Il vocifère un tas de choses que les médicaments ne calment apparemment pas et il a de constantes prises de bec avec Sœur Curgarde.
La cinquième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est le nom de l'aumônier : l'abbé Quille. Jean Quille. Peut-être est-ce à cause de ce drôle de nom qu'il a été choisi comme curé d'un institut de cinglés. Il a déjà un certain âge et il paraît constamment dépassé par ce qu'il voit et entend. Ceci dit, il a l'air d'un bon bougre, et je le soupçonne d'être moins bête qu'il n'y paraît.
La sixième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est l'œil malicieux et la mine gentille de mon psychiatre, doux petit bonhomme répondant au noble nom de Roland de Lamotte.
La septième chose, enfin, qui m'a frappé en arrivant ici, c'est ton aspect, ton allure, et la façon que tu as, pour la promenade, de sortir du pavillon des femmes sans me voir.
Mais moi, je t'ai vue.
J'ai vu la tristesse, la beauté, la jeunesse, la lassitude incarnées.
Et, pour meubler le temps, j'ai décidé de tenir un carnet de bord que je te remettrai le jour où l'un de nous deux quittera cet endroit.
Ah oui, il y a autre chose qui m'a frappé, en arrivant ici : en retrait au fin fond du parc entouré de hauts murs, derrière le logis des bonnes sœurs, un haut bâtiment noir et vétuste, qui semble inoccupé mais qui est en fait une sorte d'hospice pour personnes âgées sans revenus, une espèce de mouroir, m'a-t-on dit, dans lequel on devine que se meut discrètement et douloureusement une pauvre vie au ralenti.
Et puis, il y a quelque chose qui m'a frappé bien avant que je n'arrive ici, c'est le nom de cet asile : "Notre-Dame de l'Archange".
Quel archange ?
Quel archange peut bien présider à la destinée de cette drôle d'humanité qui déambule ici sous l'œil de ses curieux concierges ?
…. Le dortoir a ceci de spécial qu'il est composé de trente lits disposés en trois rangées de dix lits. Le réfectoire a ceci de spécial qu'il n'est séparé du dortoir, à l'entrée, que par une large porte vitrée. Et le pissoir, enfin, a ceci de spécial qu'il n'est lui aussi séparé du dortoir que par une large porte vitrée. Ainsi peut-on tout à loisir surveiller les dormeurs, les mangeurs et les pisseurs. Je n'ai évidemment utilisé ce dernier mot que pour la rime, il s'agit de vécés, on peut tout aussi bien y déféquer qu'y uriner, et, autre particularité, ils ressemblent à des chiottes de western, ou plutôt leurs portes y ressemblent, vous voyez : ces portes de bistrots du dessous desquelles on voyait les pieds, dans le farwest, et par lesquelles sortaient éjectés, pour un oui ou pour un non, les bons, les brutes et les truands.
Cette salle est la salle des hommes, les femmes mangent, dorment et font leurs besoins dans la salle d'un autre pavillon, tout semblable à celui-ci, m'a-t-on dit, et les hommes y sont interdits.
La deuxième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est l'air et le physique de Sœur Curgarde, la maîtresse de ces lieux. Elle ressemble à un gigantesque éléphant fossile du quaternaire, autrement dit à un mammouth, elle porte le voile et un habit blancs, et elle a un drôle de regard, je ne sais pas, moi : comme quelqu'un qui veut vous scruter intensément, sans arrêt et sans bienveillance.
Le troisième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est que tout le monde a l'air nul, le personnel comme les malades, sauf que le personnel s'agite souvent et que les malades, eux, dorment souvent.
Quelqu'un, parmi les patients, sort de l'ordinaire, et c'est la quatrième chose qui m'a frappé en arrivant ici. Il s'appelle Lucien Guirsch, il doit avoir une trentaine d'années, on le surnomme "Le Gourou". Il est haut et maigre comme devait l'être le Baptiste au désert. Il vocifère un tas de choses que les médicaments ne calment apparemment pas et il a de constantes prises de bec avec Sœur Curgarde.
La cinquième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est le nom de l'aumônier : l'abbé Quille. Jean Quille. Peut-être est-ce à cause de ce drôle de nom qu'il a été choisi comme curé d'un institut de cinglés. Il a déjà un certain âge et il paraît constamment dépassé par ce qu'il voit et entend. Ceci dit, il a l'air d'un bon bougre, et je le soupçonne d'être moins bête qu'il n'y paraît.
La sixième chose qui m'a frappé en arrivant ici, c'est l'œil malicieux et la mine gentille de mon psychiatre, doux petit bonhomme répondant au noble nom de Roland de Lamotte.
La septième chose, enfin, qui m'a frappé en arrivant ici, c'est ton aspect, ton allure, et la façon que tu as, pour la promenade, de sortir du pavillon des femmes sans me voir.
Mais moi, je t'ai vue.
J'ai vu la tristesse, la beauté, la jeunesse, la lassitude incarnées.
Et, pour meubler le temps, j'ai décidé de tenir un carnet de bord que je te remettrai le jour où l'un de nous deux quittera cet endroit.
Ah oui, il y a autre chose qui m'a frappé, en arrivant ici : en retrait au fin fond du parc entouré de hauts murs, derrière le logis des bonnes sœurs, un haut bâtiment noir et vétuste, qui semble inoccupé mais qui est en fait une sorte d'hospice pour personnes âgées sans revenus, une espèce de mouroir, m'a-t-on dit, dans lequel on devine que se meut discrètement et douloureusement une pauvre vie au ralenti.
Et puis, il y a quelque chose qui m'a frappé bien avant que je n'arrive ici, c'est le nom de cet asile : "Notre-Dame de l'Archange".
Quel archange ?
Quel archange peut bien présider à la destinée de cette drôle d'humanité qui déambule ici sous l'œil de ses curieux concierges ?
- Spoiler:
Commentaires bienvenus (à condition de rester dans le sujet)
Dernière édition par Magnus le Sam 7 Aoû 2021 - 22:12, édité 1 fois
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- J'aime beaucoup la manière dont est introduite la septième chose qui a marqué le narrateur, l'introduction de ce personnage féminin, femme "triste, belle, jeune, et incarnant la lassitude". La chose crée une coupure dans l'ensemble et amène de l'inattendu, un changement de rythme très appréciable.
loofrg- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- J'aime bien l'assemblage de différentes images venant d'univers-matières différentes et qui habituellement ne s'utilisent pas ensemble, cela en casse un concept de base et en donne du volume percutant dans la perception d'une/de dimension(s) se rejoignant.
Des assemblages tels que :
".../...Sœur Curgarde, la maîtresse de ces lieux. Elle ressemble à un gigantesque éléphant fossile du quaternaire .../..."
".../... Je n'ai évidemment utilisé ce dernier mot que pour la rime, il s'agit de vécés, on peut tout aussi bien y déféquer qu'y uriner, et, autre particularité, ils ressemblent à des chiottes de western, ou plutôt leurs portes y ressemblent, vous voyez : ces portes de bistrots du dessous desquelles on voyait les pieds, dans le farwest, et par lesquelles sortaient éjectés, pour un oui ou pour un non, les bons, les brutes et les truands."
Note technique de correction de frappe : un espace de trop entre "déféquer" et "qu'y uriner"
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Merci à vous deux.
Ca me permet de mieux "voir" ce que peuvent ressentir les lecteurs.
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Si ça peut vous aider, la façon de construire vos noms, ben c'est efficace, j'ai été fouiller ! En partant ils ont piqué ma curiosité... je me fais déjà une idée d'un décor.
Dodo- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Pareil concernant les noms ! Le choix n'est pas chose facile.
loofrg- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Excellent !
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Re: Roman de Magnus - Extraits
EXTRAIT 3
Cette nuit, j'ai fait ce rêve :
Je célébrais un office dans la chapelle de l'institut, avec l'abbé Menois qui avait mis une cagoule pour masquer son étonnement d'être là. Sur le corps nu de Gaïa coulait de l'eau jaune. Gaïa qui s'appelait désormais Saligia. Les sept initiales de son prénom réunies désignaient en premier lieu l'orgueil : superbia. Avec morgue, arrogance, dédain, je toisais l'assistance des crédules déçus et des charlatan avides qui avaient, les uns l'œil larmé de promesses nouvelles, les autres, l'œil humide de convoitises diverses.
La deuxième initiale était l'a d'avaricia. Avec une ladrerie de laquais de Mammon, j'empilais sur l'autel les derniers deniers de Judas et invitais les fidèles et les infidèles à s'agenouiller devant la pouvoir sans limites de l'argent, que seule la mort parvient à faire fléchir.
La troisième lettre, l'l, était celle de la luxure. Saligia, et les jeunes hommes qui l'entouraient, avaient la lasciveté aristocratique, la lubricité gourmande et candide. Il s'agissait, en ce lieu sacré, de restaurer une conception humaniste de la chair, et de le clamer en chaire, de lancer un défi cinglant à l'hypocrite puritanisme des âmes prétendument bien nées, de leur réenseigner la sagesse de l'ivresse, l'abandon à la volupté déniaisée, la libidineuse dévotion à la soumission des sens à sans cesse assouvir. Le lyrisme érotique, ici, vibrait d'amens à l'immortelle beauté : celle dont nous rejouirons enfin totalement lorsque prendra fin notre affolante course hors d'Eden. Au bout de la chapelle, sous le Crucifié, se tenaient, repliées en génuflexion recueillie, Anna, Clémence et Jamila, les yeux baissés : silencieuses touches de discrète tendresse dans cette messe manoeuvrée par l'illusion et l'illusoire où s'hoquetaient et s'entrechoquaient tous les râles et les soupirs de la nature aux abois.
La quatrième lettre était l'i de l'ire, la colère et ses misères. En prédicateur moralisant, j'abattais mes foudres indignées sur les membres de la pieuse et délirante assemblée, leur assenant à coups de formules effrayantes et lapidaires chacune de leur quatre-vérités, --- celles dont je prétendais qu'ils auraient à rendre compte devant le juge tout-puissant, mais qui, en réalité, n'étaient que les révélateurs reflets de ma propre hargne douloureuse à leur égard, de ma propre impuissance à y remédier.
La cinquième initiale était un g : gula, la gourmandise. Des bonbons clinquants de sucre mou aux pénis et clitoris lactescents, tout ici se suçait suavement et savamment, doctement, sciemment, habilement, frénétiquement, habilement, frénétiquement, pieusement, ingénument, flagramment, avec complaisante délectation, délice délictueux. Tout était saucé par le sel du péché délivré, des tabous levés, des interdits détruits. C'est une feinte innocence qui se lovait dans les regards durcis et voilé.
A l'entrée, sous le crucifix, mes femmes n'étaient plus là. A leur place ronronnait méchamment une vieille chate grise aux moustaches baveuses, auk pelage terne, rêche, rugueux. Les flancs de l'animal étaient mols et pendants. Leur duvet puait. Mais l'encens qu'un bel éphèbe nu lançait tandis que deux damoiselles lui décochaient, d'arc bandés au maximum, des flèches de miel --- évacuait les odeurs fétides et nauséabondes.
L'initiale six était l'i de l'invidia, celui de l'envie. Un sourd sentiment de haine, de tristesse et d'irritation, glottait dans mon estomac, et me le nouait. J'explosai soudain en d'ordurières et vindicatives revendications sur la femme de mon voisin, sur l'auto de mon voisin, la maison de mon voisin, sa télé, son magnéto, le vison de sa fille, l'heureux caractère de sa belle-mère. Comment pouvait-on tolérer de pareilles injustices dans la répartition des biens de ce bas-monde ? Voilà bien un scandale qu'il fallait dénoncer, et dénonce fougueusement, quitte à tout brûler sur son passage, à ne laisser que cendres et soufre sur son sillage, --- et à se réfugier derrière le haut prétexte qu'un jour des millions de ventres affamés monteront à l'assaut de l'insolent Occident décadent, pour le juger et le décapiter.
La septième lettre du nom de l'étourdissante et sensuelle Saligia --- maintenant coincée à l'avant et à l'arrière par deux mâles bâtis en athlètes d'Olympe --- étant l'a paresseuse de l'acedia, je m'en prenais à présent à un cossard en costard de bourgeois cossu, dont le ventre poilu, ballonné, dénotait l'arrivisme éteint et satisfait. Ce type-là allait incessamment expirer d'une crise cardiaque entre deux jurons galants, et mourrait, sans même s'en apercevoir, sur le champ d'honneur --- entre deux clameurs ou deux humeurs vagabondes : de celles qui fourragent pesamment dans le déculottage obsédant des herbages au moyen-âge de ses images --- celles de l'époque trop courte des glabres petites cousines en habit de première communiante. Ce dépucelant programme lui paraissait sulfureusement clair et lumineusement équivoque. Il était à l'allure de Gainsbourg pour qui ce vieil enfant ventripotent se prenait, certains soirs de cuite, quand, expulsé par sa marâtre moitié, en bonne arithmétique logique et mathématique, il se dédoublait sur ce que Nougaro nommerait "l'écran noir de ses nuits blanches".
Subitement, j'éprouvai le besoin de sortir pour aller, à la vaine recherche de Mathilde, flâner dans la nuit nullipare tachée du dernier soupir marial de l'Abbé. Le portier était, pour une moitié du visage, Roland de Lamotte, pour l'autre, Jean Quille. Un panier en osier en main, il quêtait. Tandis qu'un peu à l'écart, Guirsch, en tunique d'ange, une auréole sur la tête, pointait un glaive lumineux vers Kurt en soutane noire.
D'un mouvement lent et fainéant, j'étendis ma flemme par terre, devant une fontaine de laquelle plus aucune eau ne sortait.
Sous le ciel étoilé, je me mis à balbutier le lointain prénom de Jamila.
Un éclair jaune zigzagua sans bruit, et je fus immédiatement debout.
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Avec Dieu, ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne sait jamais si ce n'est pas un coup du diable...
(Jean Anouilh)
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Je trouve cet extrait extrêmement bien fait, étayé, profond. Je ne saurais en dire les mots correspondants.
Juste une remarque : certaines premières parties (des initiales) sont moins longues que la dernière, et après en avoir lu cette dernière partie justement, en successions des autres, cela en donne envie ou en laisse la perspective, présager, de retrouver ces univers, certains de ces univers, ailleurs dans le roman, à un autre moment, afin de les étayer.
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- A Nuage:
- Ces univers sont effectivement présents dans tout le livre, avant et après ce troisième extrait.
Ils sont gérés de plusieurs manières, y compris, ici et là, sur le mode ou le ton de l'ironie et de l'humour.
D'ailleurs, le jaune et le chat sont presque omniprésents, et représentent un véritable fil conducteur symbolique.
_________________
Avec Dieu, ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne sait jamais si ce n'est pas un coup du diable...
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Je vois parfaitement.
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
EXTRAIT 4
Mon petit fantôme joli de l'inaccessible pavillon,
J'ai voulu dialoguer avec Lucien Guirsch sur l'épisode du rêve dans le mouroir.
Mais quand je suis allé trouver le Gourou, il était en train de secouer Soeur Curgarde comme un prunier. Lui, tout maigre devant l'animal imposant, il parvenait à faire ça, faut pas demander à quel point il était démonté. Il gueulait :
- Par tous les monstres de l'Eden perdu ! Par tous les cavaliers de l'Apocalypse ! Par Toutatis et Toutankhamon ! Par toutes les putes qui sont au Paradis et les saintes femmes qui n'y sont pas ! Par Jahvé, Jéhovah, Bouddha et Krishna réunis ! Vous avez un cœur plus préhistorique que celui des créatures embryonnaires qui lors du Big-Bang se noyaient dans le flou quantique ! Odieuse traîtresse de la Bonne Nouvelle ! Parjure infâme de la Promesse éternelle ! Obscène caricature de bénitier ! Fatale empoisonneuse de consciences ! Piteux plagiat de catéchuménat raté ! Je vais délivrer cet asile de ta présence putride, l'air en sera enfin respirable !
Glang-glang-glang, ça faisait, dans le dentier du Mammouth.
Terrorisés, les fous s'agrippaient à la barre de leur lit.
L'un d'eux, par contre, un salaud comme il en existe partout, s'est avancé pour prêter main forte à la Sœur. (Il espérait une avance de sortie, sans doute.) Mais Guirsch, rien qu'en soufflant dessus, l'a fait tomber. Je crois vraiment qu'il a des pouvoir, le Gourou.
Je n'ai pas pu lui parler du mystérieux mouroir, naturellement. Trois malabars sont arrivés, l'ont ceinturé, et maintenant il est sous camisole de force.
Comme Curgarde, suite à la scène, avait deviné ma satisfaction, toute tremblante encore elle s'est approchée de moi et m'a dit :
- Vous paierez encore plus cher que lui, pauv'con. Si t'avoues pas que t'es pas fou, tu vas payer pour deux, cruche. Si tu crois qu'en plus je ne vois pas la façon dont tu reluques ma sœur Irita..., mais ne te fais pas d'illusions : si t'as envie de planter ta saloperie de dard quelque part, faudra passer par moi, t'entends ? faudra passer par moi. Je vais te dire : j'aime pas les gens normaux. Quand je les vois arriver ici maboules, j'en suis heureuse, heureuse comme tu peux pas croire. Je m'arrange pour qu'ils finissent par ressortir d'ici encore plus macaques qu'avant.
- Mais vous êtes folle, ma Sœur, folle dangereuse... .
- Evidemment, tu découvres ça seulement maintenant, pauv'cloche. Seulement moi, j'ai choisi le bon côté, tu vois.
- Et votre Dieu, dans tout ça ?
- Depuis le temps qu'il est mort, celui-là... .
- Je vous dénoncerai.
- T'avise pas, t'avise surtout pas. T'as pas le tiers du quart des relations que j'ai. Je connais même un évêque pédophile au Vatican, c'est te dire. Ecoute-moi bien, Dufour : entre toi et moi, maintenant, c'est Armageddon. Pigé ?
- C'est pas te secouer qu'il aurait dû faire, le Gourou, c'est t'enculer.
- Ah oui ?... Mais y sait pas, …y sait pas. Les gens qui savent pas baiser, y sont foutus ici-bas. Elémentaire, mon cher Einstein.
'Fous le camp raconter ça à ton psy de merde. Lui aussi, j'aurai sa peau, t'entends ?
- Vous n'avez jamais pensé à vous faire soigner ?
- Je ne désire pas changer, je suis bien comme ça, très bien même.
- Qu'est-ce que vous allez lui faire, à Lucien ?
- Je ferai de lui une épave, une épave totale.
- Et des autres ?
- Des loqueteux à mes pieds.
- Et Sœur Irita sait cela ?
- J'ai pitié de cette pauvre enfant qui se prend pour Thérèse de Lisieux.
- Vous êtes donc capable de pitié ?
Après un court silence, elle dit :
- Toi, je t'épargnerai. Si tu fous le camp à temps.
'Sois plus fort que moi, imbécile, bats-toi, corniaud. Les lavettes et les torchons qui sont ici ont oublié de se battre et c'est pour ça qu'ils sont ici ! Qu'est-ce que vous croyez ? qu'on s'en sort sans se battre, de ce putain de transit ? Œil pour œil, dent pour dent, la loi de la jungle, même les Prophètes se sont battus, ils ont égorgé de leurs propres mains des villes entières de païens !
'Bats-toi, nom de dieu, qu'est-ce que t'attends ? mais attention : pas à la manière de Guirsch, il est foutu çui-là. Sois plus intelligent que lui, et tu auras mon estime.
'Elle t'a pas appris à te battre, ta mère, hein ? elle t'a surcouvé hystériquement.
'A partir de maintenant, c'est moi ta mère.
'Essaye de m'échapper…
'Si t'y arrives, t'auras gagné.
'Le cordon ombilical sera enfin coupé. Non : tranché, pas coupé, tranché ! à la manière d'Alexandre le Grand qui a tranché le nœud gordien.
'Cours vite chez ton psy à la con.
'Tu te rendras un jour compte que ta véritable thérapeute, c'est moi.
….....J'ai voulu dialoguer avec Lucien Guirsch sur l'épisode du rêve dans le mouroir.
Mais quand je suis allé trouver le Gourou, il était en train de secouer Soeur Curgarde comme un prunier. Lui, tout maigre devant l'animal imposant, il parvenait à faire ça, faut pas demander à quel point il était démonté. Il gueulait :
- Par tous les monstres de l'Eden perdu ! Par tous les cavaliers de l'Apocalypse ! Par Toutatis et Toutankhamon ! Par toutes les putes qui sont au Paradis et les saintes femmes qui n'y sont pas ! Par Jahvé, Jéhovah, Bouddha et Krishna réunis ! Vous avez un cœur plus préhistorique que celui des créatures embryonnaires qui lors du Big-Bang se noyaient dans le flou quantique ! Odieuse traîtresse de la Bonne Nouvelle ! Parjure infâme de la Promesse éternelle ! Obscène caricature de bénitier ! Fatale empoisonneuse de consciences ! Piteux plagiat de catéchuménat raté ! Je vais délivrer cet asile de ta présence putride, l'air en sera enfin respirable !
Glang-glang-glang, ça faisait, dans le dentier du Mammouth.
Terrorisés, les fous s'agrippaient à la barre de leur lit.
L'un d'eux, par contre, un salaud comme il en existe partout, s'est avancé pour prêter main forte à la Sœur. (Il espérait une avance de sortie, sans doute.) Mais Guirsch, rien qu'en soufflant dessus, l'a fait tomber. Je crois vraiment qu'il a des pouvoir, le Gourou.
Je n'ai pas pu lui parler du mystérieux mouroir, naturellement. Trois malabars sont arrivés, l'ont ceinturé, et maintenant il est sous camisole de force.
Comme Curgarde, suite à la scène, avait deviné ma satisfaction, toute tremblante encore elle s'est approchée de moi et m'a dit :
- Vous paierez encore plus cher que lui, pauv'con. Si t'avoues pas que t'es pas fou, tu vas payer pour deux, cruche. Si tu crois qu'en plus je ne vois pas la façon dont tu reluques ma sœur Irita..., mais ne te fais pas d'illusions : si t'as envie de planter ta saloperie de dard quelque part, faudra passer par moi, t'entends ? faudra passer par moi. Je vais te dire : j'aime pas les gens normaux. Quand je les vois arriver ici maboules, j'en suis heureuse, heureuse comme tu peux pas croire. Je m'arrange pour qu'ils finissent par ressortir d'ici encore plus macaques qu'avant.
- Mais vous êtes folle, ma Sœur, folle dangereuse... .
- Evidemment, tu découvres ça seulement maintenant, pauv'cloche. Seulement moi, j'ai choisi le bon côté, tu vois.
- Et votre Dieu, dans tout ça ?
- Depuis le temps qu'il est mort, celui-là... .
- Je vous dénoncerai.
- T'avise pas, t'avise surtout pas. T'as pas le tiers du quart des relations que j'ai. Je connais même un évêque pédophile au Vatican, c'est te dire. Ecoute-moi bien, Dufour : entre toi et moi, maintenant, c'est Armageddon. Pigé ?
- C'est pas te secouer qu'il aurait dû faire, le Gourou, c'est t'enculer.
- Ah oui ?... Mais y sait pas, …y sait pas. Les gens qui savent pas baiser, y sont foutus ici-bas. Elémentaire, mon cher Einstein.
'Fous le camp raconter ça à ton psy de merde. Lui aussi, j'aurai sa peau, t'entends ?
- Vous n'avez jamais pensé à vous faire soigner ?
- Je ne désire pas changer, je suis bien comme ça, très bien même.
- Qu'est-ce que vous allez lui faire, à Lucien ?
- Je ferai de lui une épave, une épave totale.
- Et des autres ?
- Des loqueteux à mes pieds.
- Et Sœur Irita sait cela ?
- J'ai pitié de cette pauvre enfant qui se prend pour Thérèse de Lisieux.
- Vous êtes donc capable de pitié ?
Après un court silence, elle dit :
- Toi, je t'épargnerai. Si tu fous le camp à temps.
'Sois plus fort que moi, imbécile, bats-toi, corniaud. Les lavettes et les torchons qui sont ici ont oublié de se battre et c'est pour ça qu'ils sont ici ! Qu'est-ce que vous croyez ? qu'on s'en sort sans se battre, de ce putain de transit ? Œil pour œil, dent pour dent, la loi de la jungle, même les Prophètes se sont battus, ils ont égorgé de leurs propres mains des villes entières de païens !
'Bats-toi, nom de dieu, qu'est-ce que t'attends ? mais attention : pas à la manière de Guirsch, il est foutu çui-là. Sois plus intelligent que lui, et tu auras mon estime.
'Elle t'a pas appris à te battre, ta mère, hein ? elle t'a surcouvé hystériquement.
'A partir de maintenant, c'est moi ta mère.
'Essaye de m'échapper…
'Si t'y arrives, t'auras gagné.
'Le cordon ombilical sera enfin coupé. Non : tranché, pas coupé, tranché ! à la manière d'Alexandre le Grand qui a tranché le nœud gordien.
'Cours vite chez ton psy à la con.
'Tu te rendras un jour compte que ta véritable thérapeute, c'est moi.
Dernière édition par Magnus le Lun 9 Aoû 2021 - 20:15, édité 7 fois (Raison : corrections)
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Excellent, j'ai trouvé ! Beaucoup de fraicheur, dans ce paradoxe, comme une sorte de mise à distance-recul de chacun des deux personnages principaux, tout en étant plongés au sein du décor.
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Excellent ce passage !
loofrg- Seigneur de la Métaphysique
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Localisation : Lot
Identité métaphysique : Abeille
Humeur : Emeraude
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
- Pauvre Lucien... une épave! Elle va mettre des chasseurs à ses trousses ensuite? Pauvre de pauvre de petit lui... je le trouve sympathique.
Dodo- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 2179
Localisation : Alma - (Saguenay)
Identité métaphysique : Magicien distrait
Humeur : Aux anges…
Date d'inscription : 21/07/2021
Re: Roman de Magnus - Extraits
- Spoiler:
Désolé d'avoir supprimé ton dernier message, Dodo. Une bête erreur de manipulation.
Mais je vais y répondre.
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Re: Roman de Magnus - Extraits
- Quelques explications:
- Dodo demandait, dans le post malencontreusement supprimé, ce que devenait Anna.
Explications :
En fait, il s'agit d'un roman, ou plutôt d'un brouillon, que j'ai commencé à écrire, si mes souvenirs sont bons, avant 1996 et que j'ai achevé quatre ou cinq ans plus tard. (Il n'y a pas de date sur le tapuscrit).
Puis je l'ai abandonné.
Il y a trois ou quatre mois, je l'ai retrouvé par hasard, je me souvenais à peine l'avoir écrit.
Je me suis donc surpris à lire mon propre roman comme si c'était celui de quelqu'un d'autre, ça fait d'ailleurs une drôle d'impression.
Je n'ai retranscris ici que le début et quelques pages qui me semblent surtout relever de l'exercice de style.
Il y a 358 pages format A4. Aussi, j'ai aujourd'hui bien du mal à retrouver Anna parmi les cinq ou six personnages féminins principaux, inspirés à la base par des personnes réelles mais ensuite fantasmées au maximum.
Je me suis aussi inspiré de décors religieux authentiques, dans lesquels j'ai tenté de réaliser un mélange de profane et de sacré. Et de personnes réellement rencontrées autour desquelles j'ai évidemment fortement brodé.
Seuls les personnages de l'asile sont complètement inventés.
C'est finalement un roman à déchiffrer, à décrypter, on passe facilement d'un univers dans un autre, ce qui est un peu déconcertant, mais quand je l'ai relu après tant d'années, j'ai constaté que plus j'avançais dans ce livre, plus j'éprouvais le besoin de connaître la suite.
Dernière édition par Magnus le Sam 14 Aoû 2021 - 11:37, édité 1 fois
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