Tranche de voyage...

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Message par loofrg Ven 27 Nov 2020 - 14:15

Tranche de voyage…

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Cet hôtel miteux offre des chambres sans fenêtre, la mienne ne fait pas exception. Autour du tube à néon accroché au centre du plafond volette un papillon de nuit. Quelques moucherons dansent aussi, prisonniers de cette lumière froide et crue. Dans un coin de la pièce, ce petit lavabo, ces toilettes crasseuses. Je viens de quitter l’hivers parisien, ici il fait chaud, trop chaud même; l’air est stagnant, étouffant, sensation décuplée par les odeurs d’égouts qui remontent âprement dans vos narines.

C’est de ma faute si je me retrouve dans cette chambre sordide ; je suis arrivé ici comme une fleur, sans rien prévoir une fois l’avion posé. A la sortie de l’aéroport, je me suis tout bonnement laissé entraîner par le sourire figé d’un taxi. Je n’ai pas tenté de lui laisser croire que j’étais coutumier du pays. J’ai simplement dit en anglais que je cherchais un hôtel économique ; j’ai bien essayé d’ajouter quelques conditions sur le quartier et sur quelques autres détails qui me tenaient à coeur. Il s’est contenté de dodeliner du chef à chacune de mes requêtes, répétant inlassablement « no problem ! » « no problem ! » ce qu’il devait prendre pour un argument incontestable de sa propre fiabilité. En fin de compte j’ai eu cette impression d’être en train de pisser dans un violon. J’ai donc fini par lui confier totalement mon sort. « Je verrai bien ! »

La course m’a semblé durer une éternité ; les rues étaient combles et bruyantes. Ce n’est pas une légende que de parler de la densité de population de ce pays ; mais enfin, on a fini tout de même par arriver jusqu’à l’hôtel. A l’accueil, l’hôtesse d’une cinquantaine d’année me fait régler d’avance la nuit. Elle ne m’a pas donné de clef, elle m’a invité seulement à regagner ma chambre, tout au bout du couloir à l’étage.  


Le lendemain, je me réveille, il est six heure et demi du matin, je comprends par là que ma nuit n’a pas été tout à fait blanche. Les bruits de la rue qui percent à travers les murs ont rendu mon sommeil difficile. D’abord une rapide toilette, à l’eau froide. Je range ensuite mes affaires dans mon sac à dos, puis sans attendre, je rejoins la rue, saluant au passage un gamin à l’accueil qui a remplacé la réceptionniste de la veille.

Je marche, longtemps, sans but. Je finis par avoir ce besoin de trouver un peu de calme. Je m’enfonce dans des ruelles. Mais où que j’aille il y-a du bruit ; des enfants qui crient, des femmes qui hurlent d’un balcon à l’autre, des mécaniciens de fortune qui dans les cours font tinter leurs outils, des motos qui passent, incessamment, à toute vitesse, dans un vacarme innommable, laissant sur leur passage une trainée d’épaisse fumée noire. Le calme ici semble difficile à trouver. J’essaye de me faire une raison : « On ne voyage pas pour trouver ce qu’on cherche, il faut bien être un peu bousculé ». Je me sens joyeux à l’idée d’avoir enfin pris la décision de prendre l’avion pour une distance aussi lointaine. Me voilà un peu comme un vagabond, tel que je l’ai secrètement toujours désiré en mon âme de bourgeois, errant par ici et par là, dans cette ville qui se propose d’être ma compagne.

Je décide vers midi de m’arrêter dans une échoppe. Je m’installe à une table à l’ombre d’un vieux parasol délavé, je me repose de cette longue marche. J’ai faim. Il n’y-a pas de menu, je vais au présentoir, tout semble délicieux. J’abandonne l’idée de me faire expliquer la composition des plats, le patron ne parle pas anglais ; j’essaye juste de savoir lesquels sont les plus pimentés, prudence ! me-dis-je. Le patron en désigne certains, il imiter à la perfection et de manière très amusante la mine d’une personne dont la bouche prend feu, je ne suis probablement pas le premier touriste qu’il voit. Nous rions.

Je me saoule. Avec mon hôte nous essayons de discuter, nous nous aidons de gestes qui nous donnent à tous-deux l’illusion de nous comprendre. Je paye, salue chaleureusement mon bienfaiteur avec une ardeur d’alcoolique. je reprends ma ballade dans la ville, titubant légèrement. Je consulte mon « Lonely Planet » je veux me rendre à une station de car pour quitter la ville. Malheureusement il est trop tard, le dernier vient de partir, il n’y-en aura pas d’autres avant  demain matin. Qu’importe me dis-je, je ne suis pas pressé.
Il y a cette femme à l’arrêt du car, elle m’attire par son élégance, je veux entendre sa voix. Je l’approche, bredouille quelques mots en anglais, elle les comprend. « Je suis perdu » lui dis-je : « I’m lost » « je voudrais me rendre dans un ashram, sauriez-vous s’il y-en a un près d’ici ? ». Elle me répond avec le plus grand naturel bien-sûr, après tout je ne lui ai rien demandé d’extravagant. Je ne suis pas déçu, ces quelques mots reflétèrent ce que m’a d’abord appris son apparence, la classe ! Elle sent bon.
J’arrive jusqu’à une modeste place, je trouve l’ashram qu’elle m’a indiqué. Il est pris en sandwich entre deux immeubles délabrés. J’entre. Un délicieux encens brûle sur l’autel, ce parfum me plonge sur le champ dans une paix profonde. Face à une grande statue de Bouddha, il y a une dame, elle est âgée. Elle est en train de mettre en ordre l’autel, elle remplace les bougies, elle retire les fleurs fanées. Je l’entends murmurer à voix basse ce qui me semble devoir être une prière. Je m’assieds dans un coin sombre. Enfin un peu de calme !

****

Tout le monde dort dans le car, sauf moi, je suis bien trop excité. Dans un peu moins de dix heures je serai dans cette campagnes réputée pour ses plantations de thé et pour son riz qui s’exporte dans toutes les boutiques chics du monde entier parmi lesquelles se trouve l’une de celle dans laquelle, à Paris, je vais quelques fois. Le paysage défile, rien de particulièrement exotique pour le moment, mais le ciel est d’un bleu éclatant. Peu à peu cependant, tout devient d’un vert de printemps. J’approche de mon objectif, le paysage se modèle, il semble attendre coquettement de se donner. Nous sommes arrivés, je suis content de poser le pied à terre. Des Tuk-tuk nous attendent. J’ai réservé hier soir une chambre, vue sur la montagne, il y-aura aussi une piscine.
On m’a montré ma chambre, je défais mes affaires. Un peu plus tard, je suis au bar. Je me saoule encore. Quelques personnes sont accoudées au comptoir, d’autres discutent, sans bruit, assises à des tables. Un rire perce de temps à autre. L’air est tiède.

****
Ce matin, j’ai été réveillé par un mauvais rêve. Je me retrouve une fois encore surpris d’avoir trouvé le cran de quitter Paris, de partir si loin, ne serait-ce que pour un mois. C’est le deuxième jour de mon voyage sans compter ma première nuit dans cet hôtel crasseux. Un mois ! le temps est infini.

Je prend ma douche au grand air puis je me rends au restaurant pour le petit déjeuner. Il y-a du monde. Aux tables on parle un peu plus fort que la veille, sans doute au sujet des plans de la journée, de quoi être enthousiasmé j’imagine. Je n’ai quant à moi rien prévu, je suis sans avenir. Au buffet, je me sers un café, des oeufs brouillés avec du bacon et des french toast.

La piscine est déserte. Je fais un plongeon, l’eau est chaude, je fais quelques longueurs de crawl, j’ai pris du poids, un peu d’exercice me fera du bien. A l’accueil de l’hôtel la réceptionniste m’a gentiment grondé car je n’ai fait aucune réservation. Les bus qui doivent accompagner les clients aux points touristiques sont pleins, tout le monde a pris sa place la veille, sauf moi, bien sûr. Comme d’habitude, je suis pris au dépourvu. Généralement, pour les vacances, si un ami ne m’invite pas à venir le retrouver dans sa maison de campagne ou à la mer, je me retrouve seul à Paris, incapable de trouver une issue pour quitter la ville ; jusque là, partir en voyage ne m’avait pas paru envisageable. Rien ne m’aurait pourtant empêché de prendre un billet, pour n’importe où, j’avais le temps, les moyens aussi, mais quelque chose me retenait, la peur sans doute. Je constate cependant que même si j’ai enfin trouvé ce courage, mon caractère semble me suivre comme une ombre : Loin de paris, je fais à nouveau ma propre rencontre, incapable de quitter l’hôtel.

***

Je passe ainsi des jours entiers à errer, du bar à la piscine, de la piscine au bar. Je culpabilise. Pourquoi suis-je incapable de trouver la force de louer un vélo, d’aller visiter le village voisin ? Là, qui sait quelles impressions, quelle saveurs, quels parfums, mais surtout quelles rencontres pourraient rendre passionnant ce voyage. Au lieu de cela, je ne fais qu’imaginer avec amertume tout ce dont mon apathie me prive, prisonnier de cet hôtel, au milieu de nulle part. Heureusement,  toute la journée le bar reste ouvert, dès le milieu d’après midi, je commence à boire.

Un après-midi, au comble du désoeuvrement, je décide enfin de sortir pour faire une marche, c’est après le déjeuner. A mon passage devant l’accueil, la réceptionniste me fait un grand sourire et me souhaite une bonne journée avec un détachement tout professionnel. Passé le porche de l’hôtel, je commence ma ballade, la route est poussiéreuse, elle est faite d’un mélange de sable et de cailloux, elle renvoie violemment la lumière du soleil. L’air est étouffant, il n’y a pas âme qui vive. Je n’ai pas fait cent pas, je ressens comme une pression au niveau de la poitrine… et un tel ennui ! Je retourne à l’hôtel. En passant, la jeune fille de l’accueil me fait un sourire aussi radieux qu’à mon départ. Elle baisse ensuite le nez sur son registre. Je vais dans ma chambre, pour être encore plus seul, je m’allonge sur le lit, pétrifié jusqu’au soir, soulagé que ce soit maintenant l’heure de dîner, comme un malade dans un hôpital qui attend l’événement de la journée.

Plus tard je contacte par téléphone mon ami Jérôme. Je compte lui annoncer ma décision de rentrer à Paris ; il ne me laisse pas parler. Il s’exclame : « Comme tu as de la chance ! ; ce doit être génial là bas ! ». Il me dresse un tableau complètement imaginaire de mes journées. Il parle de mes découvertes, de la nourriture, des rencontres que je fais certainement ; il est intarissable. Je m’abstiens finalement de lui dire la raison de mon appel. Il m’a agacé, mais étrangement son enthousiasme a eu eu un effet sur moi. Je me décide à ne pas tout gâcher. J’ai en fin de compte bien fait de l’appeler. A la réception, je réserve une place dans un bus pour le lendemain, je ne lis même pas le dépliant, je prends le premier de la liste. Je ne sais pas comment fait Jérôme pour toujours tomber l’air de rien dans le mille !

La suite du voyage se déroule bien. Je prends le temps de décortiquer le Lonely Planet, je trouve les bons plans. Finalement, un mois, cela s’est avéré plutôt court, mais j’ai quand-même amoncelé quantité de souvenirs. Ici, à Paris, je me les repasse. Je me promets de repartir bientôt, de ne pas laisser s’installer cette torpeur, de rester mobile. J’ai pris beaucoup de photos : d’enfants, de vieillards, de femmes. On constate en les regardant comme là bas le monde est coloré. Ici, tout semble étouffé, gris. Les moteurs des voitures sont silencieux, les gens parlent doucement, il y a peu d’odeurs, peu d’enfants, une sorte d’immobilité ouatée.

J’ai dit à Jérôme que j’aimerais y retourner, que s’il le voulait, nous pourrions partir ensemble l’hiver prochain. Il est enthousiaste.
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Message par mirage Ven 27 Nov 2020 - 15:26

Un beau résumé !
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Message par Jipé Ven 27 Nov 2020 - 15:28

C'est du vécu, apparemment... sourire

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Message par loofrg Ven 27 Nov 2020 - 15:52

Pour certaines choses oui...Mais en fait je ne suis jamais allé en Inde, je me suis inspiré de souvenirs de voyages que m'a raconté un copain qui y est allé. Concernant certaines difficultés que je mentionne, elles ont eu lieu dans des voyages que j'ai fait dans d'autres pays, et plus particulièrement en Grèce. sourire
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