Sagesse du pluvian
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Trois bras et pas de tête
Le tridextre est tenté par les choses brillantes,
Lui qui pourtant ne peut percevoir leur éclat ;
Pour le papier d’argent, celui du chocolat,
Tu le vois accomplir des danses frétillantes.
Ses doigts sont animés d’extases fourmillantes ;
À force de vibrer souvent il s’envola,
Mais pas pour très longtemps, la chose l’affola,
Il ne put maîtriser cette course vrillante.
Certains jours, il trépigne avec sauvagerie,
Son ancêtre d’ailleurs se démenait ainsi,
Qui est représenté dans notre imagerie.
Or, quant à la tendresse, il la connaît aussi,
Mais elle n’est pour lui que vaine songerie,
Comme un rêve furtif, un nuage imprécis.
Mélancolie florale
La fleur exhale un parfum de langueur,
Car elle trouve inutile sa vie ;
Il lui déplaît d’être au sol asservie,
Elle ressent des hivers la rigueur.
Même un beau jour qui s’étire en longueur
Peut la laisser encore inassouvie ;
Tous les oiseaux du ciel lui font envie
Quand par leur vol ils montrent leur vigueur.
Elle subsiste et vieillit doucement,
S’accoutumant quand même à ses tourments
Et se pliant aux lois de son domaine.
Puis vers la fin son esprit s’échauffait
D’avoir vécu et de n’avoir rien fait ;
J’écris ces mots pour soulager sa peine.
Rapace ourocéphale
Je vois planer au ciel un monstre solitaire,
Un vigoureux oiseau qui d’un roc s’élança ;
Vers un lointain rivage ensuite il avança,
Quant à son but final, cela reste un mystère.
Les bardes du village un jour l’interrogèrent,
Mais leur sollicitude envers lui l’agaça ;
D’un terrible regard quadruple il les chassa,
D’en tirer quelque chose ils se découragèrent.
Le druide en a conclu, parlant sans hésiter,
Que le rapace avait sa propre vérité ;
Avec de l’hydromel il a béni ses plumes.
Peut-être qu’un amour aveugle le conduit,
Qu’à rester sous sa coupe il se trouve réduit ;
Eros est donc aussi farceur que de coutume.
Noblesse de l’ours polaire
L’ours ne fait point de choses viles,
Il est pur comme un magistrat :
Jamais un ours blanc n’est servile,
Lequel honore ses contrats.
Il aimait un oiseau des îles
Sans pourtant qu’il l’idolâtrât ;
Il en fut traité de fossile,
C’est déplaisant, tu l’admettras.
Triste, il écrivit un poème
Très sobre, comme je les aime,
Mais il signa « Tricératops ».
Il le lut au pape de Rome,
Qui déclara : « Ta plume est comme
Celle du pharaon Chéops ».
Manoir de Scarron
Je me tiens à l’écart de mes frères humains,
J’aime ma maisonnette et son humble structure ;
Tous mes livres sont presque à portée de mes mains,
Je peux commodément les orner de ratures.
Révisant mon latin dans un missel romain,
Je vois que j’en conserve une faible teinture ;
Je rêve d’être un scribe avec ses parchemins
Ou encore un expert de la littérature.
Je trie mes souvenirs en partie abolis,
Car ma mémoire est comme un verre dépoli ;
Le passé lentement se perd et se dessoude.
Qui croit que la vieillesse est le temps de l’espoir ?
Mais ils sont rassurants, ce modeste manoir
Et le sobre bureau sur lequel je m’accoude.
Sépulcre pyramidal
Ce tombeau commémore une mort ténébreuse,
Beaucoup de survivants évitent d’y songer ;
Ils n’approchent jamais la pyramide ombreuse
Où repose ce mort qui leur fut étranger.
Son âme en inframonde est peut-être en danger,
Qui pendant ses beaux jours fut trop aventureuse ;
Sans force désormais sont ces mains valeureuses,
En ce coeur nul amour ne se peut plus loger.
Il n’est plus temps de rire, il n’est plus temps d’apprendre,
Ton labeur est fini, tu peux devenir cendre,
Tes plantes choisiront un autre jardinier.
Ce cerveau qui jadis fut en ruses fertile,
Cet esprit qui jamais ne devint routinier,
En parler aujourd’hui serait assez futile.
Lion de compagnie
Je n’aime point chasser, je reste à la maison,
La pluie et le beau temps, je les remarque à peine ;
Je ne sais si je vois la Garonne ou la Seine,
J’ignore même aussi le temps des floraisons.
Quand je peux grignoter ce que je trouve bon,
La chose me procure une joie souveraine ;
Je ne m’investis point en entreprises vaines,
Peu me chaut d’acquérir la gloire ou le renom.
Je suis une peluche et j’en fais mon métier,
Je ne suis nullement d’un grand fauve héritier ;
Nul ne peut voir en moi la moindre frénésie.
Un morceau de fromage, une tranche de pain,
Quelques grains de raisin et pas trop de pépins :
Tel est mon idéal, telle est ma poésie.
Arbre serpentivore
Par cet arbre est du lieu la défense assurée,
Un serpent près de lui ne survit pas longtemps ;
Il l’avale, et voilà, tout le monde est content,
Le jeu du tentateur est de courte durée.
Or, ces reptiles sont des bêtes obstinées,
Ce qui est impossible est pour eux exaltant ;
L’histoire se prolonge et se va répétant,
Telle est leur vocation, telle est leur destinée.
Ils veulent contester la loi qui vient des cieux,
Car un pareil précepte est injuste à leurs yeux ;
Ils cultivent ainsi l’esprit de résistance.
Même quand l’un des leurs a péri, foudroyé,
Leur bel entêtement ne put être broyé ;
Les reptiles d’Eden ont bien trop de constance.
Chapelle au jardin de Verlaine
Édifice bâti pour on ne sait quel saint,
Peut-être saint Lewis, l’ami de sainte Alice ;
Sur l”autel resplendit l’or du sacré calice,
Pesant est le missel posé sur un coussin.
Sur les vitraux je vois d’héraldiques dessins,
J’y trouve le serpent du Jardin des Délices ;
Parfois, le long d’un mur, un vieux moine se glisse,
De longuement prier son âme a le dessein.
Un retable est orné d’un hérisson en boule
Et d’un flacon porteur de ces mots : Buvez-moi ;
Alice fait un geste, et le hérisson roule.
Le fils du charpentier s’envole avec sa croix
Vers la Tour de Babel alors qu’elle s’écroule ;
Les Mages ont quitté leurs couronnes de rois.
Monstre de nulle part
Mes deux grands-pères sont Eros et Thanatos
Et pour marraine j’ai la vieille fée Grenouille ;
Elle m’ensorcela du bout de sa quenouille,
Je peux donc imiter le souple ouroboros.
J’ai voulu courtiser la reine de Lesbos,
Mais elle a mis à prix ma modeste dépouille ;
Je ne suis donc pas roi, pourtant, je me débrouille
Ici je suis connu sous le nom d’Atropos.
Ma compagne est jolie sans être prolifique,
Auprès d’elle je perds mon aspect maléfique ;
J’évite la bagarre et les mots malséants.
Je bois mon apéro chez les cracheurs de flammes,
Ils ont une potion qui revigore l’âme
Et qui fait que mon coeur est celui d’un géant.
Ancre invisible
Cette ancre imperceptible a fait trois tours du monde,
Qui en d’étranges fonds a su s’aventurer ;
Elle aimait s’accrocher aux rochers fissurés
Que l’on rencontre au nord des îles de la Sonde.
Elle a vu des contrées arides ou fécondes,
Des crustacés pensifs, des poissons délurés ;
Elle a goûté le chant des homards azurés
Et celui des ondins qui sont en eaux profondes.
D’un vaisseau naufragé quelques vestiges flottent,
Portant les armoiries de la reine Charlotte :
Un ange du Seigneur accompagné d’un porc.
Cette ancre nullement ne se laisse distraire,
Que ce soit au grand large ou que ce soit au port,
Dans le vent favorable ou dans le vent contraire.
Noble boeuf
J’aime mon pâturage au fond de la vallée,
Je donne le bonjour à de rares passants ;
Le vent me rafraîchit de son souffle puissant,
L’hirondelle me dit des blagues décalées.
Le trèfle me nourrit, saveur inégalée,
Le moineau m’avertit quand le sol est glissant ;
Rarement je rencontre un insecte agaçant,
De ceux qui sont friands de ma sueur salée.
Rien ne vient perturber cet univers serein,
Écosystème où règne un calme souverain ;
Nous n’avons donc point lieu d’accuser la nature.
Un boeuf est préservé des excès de l’amour,
Des jeux de Cupidon et de ses mauvais tours ;
Ça lui laisse du temps pour d’autres aventures.
Tortue d’inframonde
Maudite je fus par Saint Hexapode,
J’avais dit du mal de ses manuscrits ;
C’était pour blaguer, mais il n’a pas ri,
J’ai donc découvert ces lieux malcommodes.
Dans cet inframonde, il y règne un code
Pas vraiment plaisant, même un peu pourri ;
On y mange à peine, on y dépérit,
Comment finira ce triste épisode ?
J’ai beaucoup marché, malgré ma lenteur
Et sans rencontrer trop de tourmenteurs ;
Je supporte bien la chaleur des flammes.
Puis, je m’accoutume aux démons pervers,
Je me fais ma place en cet univers ;
Car il est obscur, mais n’est pas sans âme.
Lion plumitif
Rarement je parcours la ville ;
Mes écrits dévorent mes jours,
Que quelques lecteurs, tour à tour,
Commentent de façon civile.
J’écris sans être fort habile,
Mes poèmes sont un peu courts ;
J’use de mots qui n’ont plus cours,
Je ne suis guère volubile.
Textes composés lentement
Qui me sont un amusement,
Je ne sais point quel est le vôtre.
J’écris sur ce que j’ai rêvé,
Songes parfois inachevés ;
Un mot s’en vient derrière l’autre.
Les quatre vents du ciel
C’est par notre pouvoir que ce nuage roule,
Même si, tu le vois, nous n’avons pas de mains ;
Tout le jour il suivra d’invisibles chemins,
Lui qui n’a nul regard sur le temps qui s’écoule.
Sous notre assaut, parfois, un vaste mur s’écroule,
Car nous respectons peu le labeur des humains ;
Nous sommes durs un jour, tendres le lendemain,
Sans jamais nous soumettre aux désirs de la foule.
Dieu nous fit tous les quatre, et trouva cela bon ;
Grâce à nous les objets deviennent vagabonds,
Notre puissante voix résonne dans la plaine.
Témoins de notre entente et de nos désaccords,
Les démons nous saluent avec leur voix vilaine ;
Nous ne répondons point à ces porteurs de mort.
Méditation d’un oiseau
Je contemple la ville et la nature en fête,
Je tourne mon regard vers le ciel azuré ;
Mais ces jours finiront, je le peux augurer,
Point n’est besoin pour ça d’être un hibou-prophète.
Je me dis que la mort n’est pas une défaite,
Tous ceux qui sont en vie ont leur temps mesuré ;
Survivre à l’un, à l’autre, il nous faut l’endurer,
Pourtant, notre vaillance est encore imparfaite.
Ce monde impermanent qu’on découvre en naissant,
Il faut l’abandonner, à d’autres le laissant
Qui sauront à leur tour prendre leur envolée.
Tel était le propos de l’oiseau méditant,
Dont fut modérément son âme consolée ;
Certes, de tels sujets n’ont rien de palpitant.
Dragon herpétologiste
C’est un spécialiste pointu,
Expert en couleuvres bataves ;
L’université Saint-Gustave
D’un doctorat l’a revêtu.
Ses résultats sont débattus
Par des érudits en conclave,
Traduits en plusieurs langues slaves
Et glosés par des impromptus.
Des plus grands campus il fut l’hôte,
Lui dont le parcours est sans faute,
À bien faire il s’est employé ;
Mais il advient qu’on le surprenne
À lourdement se fourvoyer
Quand il nous parle des sirènes.
Bénédictions porcines
Quant aux mots du cochon, les scribes les omirent,
Sauf le bon La Fontaine et ses jeux innocents ;
J’admire ses écrits, je le dis en passant,
Ce Maître fait partie des auteurs qui m’inspirent.
Par mon Frère le Porc je fais bénir ma lyre,
Lui que j’aime bien mieux qu’un fauve rugissant ;
Il connaît les soucis de mon coeur frémissant,
Que je n’ai point besoin de longtemps lui décrire.
Il peut lui arriver de bénir l’univers,
Aussi la canicule et le froid de l’hiver ;
L’amour et la souffrance et la honte et la joie.
De livres surannés il aime se munir
Où le sage discours du passé se déploie ;
De mille choses lues il a le souvenir.
Tour des alchimistes
tower
Ici nous absorbons des breuvages limpides,
Peut-être un peu corsés, nous avons ce travers ;
Meilleure serait l’eau, mais elle est trop humide,
Nous ne la ferons point figurer dans nos vers.
Quelquefois nous rejoint la vestale timide,
Alors nous savourons l’éclat de ses yeux verts ;
Les propos qu’elle tient ne sont pas insipides,
Son discours nous instruit sur des sujets divers.
Nous sommes les vassaux de cette demoiselle,
Allégeance bénie qui nous donne des ailes ;
Ses regards sont hardis, son rire est ravissant.
Aussi nous acceptons même son ironie,
Nos modestes esprits n’y sont pas réticents ;
Alchimiste et vestale, une belle harmonie.
Chaumière gallo-romaine
Nous ne suivrons pas César ni ses pareils,
En libre terroir nous sommes établis ;
Nous ne pensons rien de ceux qu’il anoblit,
Ils ne pourront pas nous ôter le soleil.
De l’esprit gaulois attendons le réveil
Car il nous anime et jamais ne faiblit ;
Nous n’allons donc pas nous vautrer sur des lits,
Assis nous buvons notre nectar vermeil.
Foin du fantassin avec son casque lourd,
Lui que nous voyons le jeter quand il court ;
Puis nos forgerons en font de la dentelle.
Que vivent la chasse et les plaisirs de bouche,
La sombre forêt aux animaux farouches
Et Bélisama, la déesse immortelle.
Trois jeunes arbres
Nous avons partagé les printemps, les automnes
Et les autres saisons avec tous les vivants ;
Nous avons écouté la romance du vent
Et celle du clocher qui au village sonne.
Nous accompagnons ceux que la vie abandonne
Et ceux qui ont des nuits et des jours éprouvants ;
Nous écoutons aussi leurs récits émouvants
Ou les refrains légers que leur âme fredonne.
Ici croît un bouleau à l’écorce d’argent
Qui à mille sujets tout le jour va songeant,
Laissant vagabonder sa pensée incertaine.
Au long d’un vert sentier passe un petit ours brun ;
Sans doute il ira voir sa promise lointaine
Dont son coeur croit déjà respirer le parfum.
Lion féru d'élégance
Il possède un miroir (consulté fréquemment),
Il aime le portrait qu’il voit dans cette glace ;
Modeste est son logis, ce n’est pas un palace,
Mais je crois qu’il s’y trouve à l’abri des tourments.
Il goûta de la vie le sucre et le piment,
Le chant du rossignol et le cri du rapace ;
Il ne voyage plus par les libres espaces,
Il ne s’enflamme plus au nom d’un sentiment.
Son corps est amoindri par le poids des années,
Mais il n’est point privé d’extases spontanées,
Il lui est arrivé d’en parler devant moi.
De le voir si coquet parfois des gens s’étonnent,
Il n’y voit nul motif de se mettre en émoi ;
Serein fut son printemps, paisible est son automne.
Manoir biscornu
Le seigneur de ce lieu porte un blason de moire,
Il en a parsemé son sobre mobilier ;
Au milieu de la salle, un immense pilier
S’orne de trois sonnets qu’il garde en sa mémoire.
Ces textes merveilleux sont extraits d’un grimoire
Où de pareils morceaux se comptent par milliers ;
Au maître de maison certains sont familiers,
Le gros livre est tiré bien souvent de l’armoire.
Ici viennent dîner le prêtre et le bailli,
Qui à ce rituel ont rarement failli ;
De critiquer cette oeuvre ils font le simulacre.
Quel scribe a disposé ces mots sur ce vélin ?
Peut-être Saint Rémi, celui qui les rois sacre,
La préface l’évoque en des mots sibyllins.
Noble philosophe
Ce cheval autrefois fut de Platon l’élève,
Dont il redit les mots, la nuit comme le jour ;
De Socrate il connaît aussi bien les discours,
Il peut les présenter sous une forme brève.
Il passe désormais un aimable séjour
En un couvent tenu par quelques filles d’Ève ;
Il est le confident de Sainte Geneviève,
Dont la chambre est perchée au sommet d’une tour.
Ce cheval a vécu le meilleur et le pire,
Lui qui vit s’écrouler plus d’un puissant empire,
Ce qui d’un grand orgueil fut la juste rançon.
Il marche doucement de la cour à l’herbage ;
Un grand détachement, tel est son apanage,
Et, certains jours, l’écho d’une antique chanson.
Temple de la liberté
Ici, nul dieu redoutable,
Nul impressionnant décor ;
Foin du riche et du notable,
Foin des messagers de mort.
La liberté véritable
N’a pas besoin de trésors ;
C’est un arbre impérissable
Dont les fruits nous rendent forts.
Sous le soleil, sous la lune,
Dans la hutte ou le manoir,
L’Espoir monte à la tribune.
Au lendemain du Grand Soir
Flottera le drapeau noir ;
Finiront nos infortunes.
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