Sagesse du pluvian
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Sagesse du pluvian
J’ai bien souvent rêvé d’une mouette subtile
Et qui vole si haut qu’à peine on peut la voir ;
Dans la haute atmosphère elle peut se mouvoir
Et composer des vers en un aimable style.
Pour évoquer ses traits, ma plume est malhabile,
Mais j’en veux dire autant qu’il est en mon pouvoir ;
Je ne regrette point d’avoir peu de savoir,
Car si j’en avais trop, ça me rendrait débile.
Qu’elle soit aussi loin, ce n’est pas triste en soi,
Puisque mon âme l’aime et que mon coeur la voit ;
Puis, je retiens les mots qu’elle avait su me dire.
Aussi, quand je relis des poèmes latins,
Je voudrais en charmer cet oiseau du matin ;
Ce serait un bonheur, si je l’entendais rire.
Arbres commémoratifs
J’ai vu dans un grand champ trois arbres de mémoire ;
Des forêts de jadis, ils restent seuls debout ;
Dans leur ombre propice un barde venait boire
Afin d’y cultiver la sagesse des fous.
Le feuillage après lui murmure des histoires
De serpent et de pomme, et de tigre, et de loup ;
Le barde avait chez lui de petits dieux d’ivoire
Lui dictant des récits au décor un peu flou.
La licorne qui danse et refuse la bride,
Le vaillant hamster-grive et bien d’autres hybrides
Ont ces contes appris, les gardant inchangés.
Le vent retient aussi des messages sonores ;
Les trois arbres-témoins toujours se remémorent
Les lointains souvenirs en leur âme engrangés.
Moine du désert
La main du pénitent consacre ce qu’il touche,
Le sable du désert embellit son habit ;
Et dans son ermitage où la mouche vrombit,
Nul démon ne s’attaque à ce moine farouche.
Lui qu’on servit jadis, et même à pleines louches,
Ne boit que de sa source au très maigre débit ;
Dans l’effort qu’en ces lieux son pauvre corps subit,
Il fait de sa vertu la racine et la souche.
En prière à midi, dans l’aurore ou le soir,
Jamais dans sa cellule on ne le voit s’asseoir ;
Héros sans étendard, travailleur sans salaire.
Le vent touche la dune et lui donne un frisson,
Elle qui a regret de ses dieux tutélaires
Qu’elle n’entendra plus chanter à l’unisson.
Cor sans nom
À Roncevaux surgit la menace incertaine,
Les chevaux sont cabrés sous les éperons d’or ;
Les chevaliers vaillants suivent leurs capitaines
Et le seigneur Roland, qui fut comte en Armor.
Ils ne reverront plus les bouleaux ni les chênes
Parmi lesquels courait la chasse, au son du cor ;
Et Roland tout à l’heure en sonnera bien fort,
À se déchirer l’âme, à se rompre les veines.
Roncevaux, lieu d’histoire et lieu de souvenir,
Tu vois Turpin l’évêque empressé de bénir
Les mourants et les morts, combattants de légende.
Quand la nuit tombera sur le val embrumé,
Par quelques survivants ils seront inhumés ;
L’empereur ne dit rien, tant sa tristesse est grande.
Nef grandiose
Nous étions vingt marins sur la nef de fierté,
Bravant le calme plat par temps de canicule ;
Le Seigneur Cachalot nous trouva ridicules,
Ce qui, je le confesse, était bien mérité.
Nous étions vingt rêveurs épris d’éternité,
Emportés par Chronos qui jamais ne recule ;
Et certes point de ceux qui leur route calculent,
Mais errant au hasard des lieux inhabités.
Face à l’adversité, nous restions impassibles,
Mais notre coeur, pourtant, n’était pas insensible,
Qui de cet Univers admirait la grandeur.
Or, je ne sais pas quand nous reviendrons à terre :
Comment abandonner cette nef de splendeur ?
Se perdre sur les eaux, rien n’est plus salutaire.
Le seigneur des rouages
Il dessine des plans aux lueurs des chandelles,
Son travail d’ingénieur est étrange pour moi ;
Il rêve une machine, il écrit sans émoi
Ce que nous permettra cette chose nouvelle.
La critique envers lui jamais ne fut cruelle,
Qui toujours le trouva penseur de bon aloi ;
Car de la mécanique il applique les lois
Et pour son doux regard, les équations sont belles.
Quand je fus un chercheur, je l’entendis souvent
Passer d’un théorème à l’axiome suivant ;
Par désir de comprendre, et non point de fortune.
De ses beaux manuscrits, il donna la primeur
Au rhapsode subtil, ami de l’imprimeur,
Dont toujours il guettait la retouche opportune.
Moine d’azur
Heureux d’écrire un vers auquel il a pensé,
Il a presque perdu le goût des choses vaines ;
Le Fils du Charpentier mit un terme à ses peines,
De prier, cependant, il n’est point dispensé.
Quand il était plus jeune, il voulait se lancer
Au pénible sentier qui vers la gloire mène ;
Mais il n’éprouve plus cette faiblesse humaine,
Il n’achèvera point le rêve commencé.
Ce moine tout un jour en cellule demeure,
Dans sa sérénité ne comptant pas les heures,
Jusqu’à ne plus savoir s’il est lui-même, ou rien.
Il aime déchiffrer le jargon de la brise.
Dont assez fréquemment fut son âme surprise,
Et puis il se nourrit de son pain quotidien.
Dame estivale
Cette dame cultive un jardin sans pareil
Où nous voyons fleurir des plantes inconnues ;
Car il est lumineux, traversé d’avenues
Et de petits sentiers que baigne le soleil.
Une aragne bâtit sa construction ténue,
Un arbre plein de sève offre ses fruits vermeils ;
Un vieux chat se prélasse et se livre au sommeil,
Un corbeau dit un mot sur une branche nue.
Saison après saison, le jour succède au jour,
Le temps à toute chose inflige sa morsure ;
Une fleur s’abandonne à son paisible amour.
Or, de ses lendemains la dame n’est pas sûre ;
Que dit le noir corbeau de son étrange voix,
Lui qui de l’univers a deviné la loi ?
Lectrice du manuscrit
N’habitant point en logis de paresse,
N’écoutant point les sires beaux parleurs,
Ne goûtant point les jeux des bateleurs,
Je me délecte en prose enchanteresse.
D’un combattant je ne serai maîtresse,
Encore moins d’un rhapsode enjôleur ;
Mais d’un vrai scribe, un homme de valeur
Dont la main dextre écrit avec adresse.
Sans nul désir pour quelques pièces d’or,
Tranquille il veille, et tranquille il s’endort,
Tel qu’en lui-même un fier talent le change.
Je l’aime bien, quand il veut délirer,
Par on ne sait quelle muse inspiré :
En inframonde il rencontre des anges.
Sagesse de la libellule
La libellule chasse à la fin du printemps,
Je suis émerveillé par sa noble apparence ;
Je la vois survolant ce ruisselet de France,
Qui frôle la surface et s’y va reflétant.
Au bord de ce cours d’eau longuement méditant,
Le héron au long bec se nourrit d’espérance ;
Comme la libellule, il est plein d’assurance,
Il se tient sur la rive, il observe, il attend.
De ces deux prédateurs la quête n’est pas vaine,
Ils prendront du gibier bientôt, sans trop de peine ;
Il se rassasieront, et puis, ils s’en iront.
J’entends un peu plus loin le cri d’une corneille,
Un oiseau ténébreux qui dans l’ombrage veille ;
Quant à moi, j’aime aussi ce troisième larron.
Crosse magique
L’évêque sait d’étranges artifices,
Lui qui reçut de magiques pouvoirs ;
Et cette crosse est son plus bel avoir,
Qui lui rendit de merveilleux services.
Or, n’en craignez jamais de maléfice :
Un noble usage il fait de son savoir,
Soit pour guérir, ainsi qu’on peut le voir,
Ou pour bénir l’agneau du sacrifice.
Ce bon prélat s’amuse quelquefois
À contourner de l’Univers les lois,
Mais sans jamais provoquer de malaise.
Il peut gagner d’inaccessibles lieux,
Voir l’inframonde, à la grâce de Dieu,
Ou voleter au-dessus des falaises.
Gabriel dubitatif
D’une telle mission, comment venir à bout ?
Et comment aborder une telle auditrice ?
Certes, du genre humain c’est la consolatrice,
Mais qui, jusqu’à présent, ne le sait pas du tout.
J’aimerais cent fois mieux voler par vent debout
Et croiser de Satan les troupes destructrices,
Ou chasser les démons d’une blasphématrice,
Ou d’une croix maudite enlever tous les clous.
Mon corps tremble devant ce visage admirable,
Je ne saurais parler, je me sens misérable,
La peur me paralyse et fait pâlir mon front.
Or, le Maître le veut : je ne vais pas me taire,
Car c’est lui qui décide et c’est nous qui souffrons,
Mais c’est un noble effort, un tourment salutaire.
Corne d’abondance
Sur la table du mage est un trésor qui luit ;
De la corne, en effet, la force n’est pas feinte,
Qui semble provenir d’une licorne sainte
Et qui dans ce manoir l’abondance a produit.
On peut même en tirer de remarquables fruits,
Qui sans cette magie seraient tous hors d’atteinte ;
De longtemps ne sera cette puissance éteinte,
Qui embellit le jour et adoucit la nuit.
Plus de blé qu’il n’en pousse en une vaste plaine,
Le sorcier le récolte, une grange en est pleine,
Et d’autres provisions occupent le cellier.
Sur son mode d’emploi, je suis dans l’ignorance,
Et le sont, paraît-il, tous les chercheurs en France ;
Sauf un obscur vieillard, un moine cordelier.
Arbre de Rémus
Arbre témoin de la dignité feinte
D’un noir destin en grandeur déguisé,
J’ai vu la haine un despote embraser ;
J’ai vu la vie au pied des murs éteinte.
Rémus tomba sans former nulle plainte :
De sacrilège il était accusé,
De se soumettre il avait refusé
En profanant le tracé de l’enceinte.
Or, mon feuillage est porteur de sa voix
Que sur la plaine on entend quelquefois ;
Je suis chargé d’une éternelle peine.
Je l’aimais bien, cet homme qui chantait,
Lui que nul dieu jamais ne démentait ;
Roi Romulus, ton ire fut bien vaine.
Lent véhicule
La charrette de foin passe au long des maisons,
Suivant sans se presser la route bien connue ;
C’est un chemin de terre, et pas une avenue,
Mais à chaque tournant sont de beaux horizons.
Voici le charretier, plein d’usage et raison,
Un auguste vieillard à la barbe chenue ;
Car très bientôt sera pour lui l’heure venue
D’aller pour bien longtemps dormir sous le gazon.
Il fut un brave bougre, ignorant tout mensonge,
Rarement tourmenté par de pénibles songes,
Assidu au labeur et content de son sort.
Sa table à la taverne est sans mélancolie,
Où lui sont rappelés ses moments de folie ;
Tranquille, il boit sa bière, et tranquille il s’endort.
Re: Sagesse du pluvian
Cette vigne grandit selon sa fantaisie
Dans un taillis obscur, près d’un arbre tombé ;
Elle prend pour tuteur un branchage courbé
Qui lui est favorable, et qu’elle remercie.
Elle pousse en tous sens, comme une poésie,
Comme des mots farceurs qu’on ne peut rattraper ;
Son plaisir en ce monde est toujours d’échapper
Aux règles du maintien, par les humains choisies.
Je veux te ressembler, végétal inspiré ;
Les paroles sans loi que j’ose murmurer
S’envolent au hasard, sitôt qu’elles sont dites ;
Mon papier, c’est de l’eau, ma plume est un roseau ;
Car j’écris seulement pour répondre aux oiseaux
Qui dans mon vert jardin leurs légendes récitent.
Ambireptile
— Nous te voyons glisser sur les chemins
Nous te voyons errer dans la nature ;
Ambireptile en quête d’aventures,
Que penses-tu de tes frères humains ?
Et voudrais-tu, toi-même, avoir des mains
Pour façonner un ouvrage qui dure ?
Et trouves-tu que la terre est trop dure,
Regrettes-tu tes jours sans lendemains ?
— Je n’envie point cette forme commune,
Puisque sans mains vivent Soleil et Lune ;
Sous cet aspect je veux vivre et mourir.
— Nous n’avons point parlé pour te déplaire,
Ambireptile, animal populaire,
Toi qui sans pieds sembles parfois courir.
Ours dignitaire
Ce grand ours est connétable
Et duc des Marais du Nord ;
Le roi l’invite à sa table
Pour manger du foie de porc.
Il surveille les érables
Dont la sève est un trésor ;
Même par les nuits de sable
Il est toujours le plus fort.
Il voudrait offrir la lune
À la reine aux grands yeux noirs
Que jamais il n’importune ;
Car il frémit à la voir,
Il en perd tous ses pouvoirs,
Nous plaignons son infortune.
Antipapegault
Dans un jardin perdu qu’ombrage un noisetier
Vit l’antipapegault, monarque de la plaine ;
Il ne se risque point dans des courses lointaines,
À peine connaît-il les sylvestres sentiers.
Il n’est pas à l’honneur, il n’est pas à la peine,
Et jamais sur sa branche on ne l’entend prier ;
Mais nul à cet égard ne l’ira décrier,
Pourquoi n’aurait-il pas l’âme républicaine ?
Pour lui faire plaisir, offrez-lui des crevettes
Ou un godet de bière à l’antique buvette ;
Ou même, à la rigueur, un peu de poisson cru.
Cet antipapegault ne fait point de vacarme,
Il sait de vieux dictons dont je goûte le charme,
Et même la chanson du père Lustucru.
Ambidragon bûcheron
Cet ambidragon habite en Essonne,
Il n’a, semble-t-il, jamais vu la mer ;
Au bois de sapins et de chênes verts,
Sitôt qu’il surgit, les arbres frissonnent.
Ce bûcheron fou, ça les désarçonne,
Et ses ailerons qui brassent de l’air
Sans se reposer, l’été ni l’hiver,
Et ne respectant ni rien ni personne.
Ce temps de tourments, quand finira-t-il ?
Nous le diras-tu, monstre peu subtil ?
Quand deviendras-tu un écologiste ?
Ainsi se plaignaient les arbres d’ici ;
De l’ambidragon, le coeur endurci
Resta sans pitié, je trouve ça triste.
Cheval de garnison
Certes, son régiment n’a jamais combattu,
Ni pour le sol natal, ni pour quelques idées ;
Mais en rêve, souvent, son âme débridée
Affronte un ennemi, mais lequel? le sais-tu?
Je peux imaginer qu’il est de fer vêtu,
Que son âme perverse est vers le mal guidée,
Dont celle du coursier n’est pas intimidée,
C’est un vaillant cheval, c’est un héros têtu.
Ces couplets ne sont pas de vaine moquerie ;
De ce fier animal, personne ne s’en rie,
Qui sur un champ d’honneur, peut-être, périra,
Ou pour les grands yeux noirs de la charmante reine
Qui près de l’écurie chante à voix de sirène ;
Ou encore, autrement : l’avenir le dira.
La dame de Gondal
La Dame de Gondal me parle en mon sommeil,
Je peux la contempler sans ouvrir mes paupières ;
Car j’ai toujours aimé l’onirique lumière
Qui baigne cet état supérieur à l’éveil.
En rêve je visite un jardin nonpareil
Où je peux admirer la flore printanière ;
Et je m’y vois danser d’une étrange manière
Pour savourer l’éclat du nocturne Soleil.
Cet univers du songe, il semble un autre monde,
Un cosmos poétique où les démons abondent,
Et les anges aussi, qu’on voit avec le coeur.
La dame de Gondal, d’une douceur extrême,
Connaît mes sentiments presque mieux que moi-même,
Mais parfois je lui trouve un petit air moqueur.
Amphisbène édénique
L’amphisbène au printemps, joyau de la nature,
Se prélasse dans l’arbre et chante sous les cieux,
Célébrant la grandeur et la gloire de Dieu,
Et puis il se repose au sein de la verdure.
Son corps est bariolé comme une enluminure,
C’est un vivant trésor, un plaisir pour les yeux ;
Il se sait le Phénix des hôtes de ces lieux,
Et du fruit de cet arbre il fait sa nourriture.
La Dame du Jardin le salue en passant,
Il prend, à l’observer, un plaisir innocent.
Il ne sait d’ailleurs pas s’il est jaloux de l’Homme.
Si la femme voulait partager son repas,
Elle pourrait aimer la saveur de la pomme ;
Qu’importe si ce fruit procure le trépas ?
Vestale serpentine
— Que fais-tu dans la tour, vestale serpentine ?
— Je me suis mise là pour attendre le roi ;
J’ai préparé du thé avec quelques tartines,
Et, pour souper, plus tard, un peu de poulet froid.
— Le roi n’aura pas faim, il mange à la cantine,
Sur tes festivités tu peux faire une croix ;
De plus, il dort avec la dame byzantine,
Son bouffon le raconte, et c’est ce que je crois.
— La dame byzantine est une jolie rousse,
Mais mon coeur est plus noble et ma chair est plus douce,
Avec moi, les plaisirs sont un peu plus divers.
— Le roi préfère l’autre, il l’a dit tout à l’heure,
Et ce qu’il t’a promis, ce ne sont que des leurres ;
Donc, tu resteras seule avec ton serpent vert.
Maison solitaire
L’eau monte aux pilotis lorsque la mer est pleine,
De nuages obscurs le ciel est parcouru
Et le soleil entre eux à peine a transparu ;
Autour de ce logis, nulle présence humaine.
D’invisibles sentiers vers cette maison mènent,
Passant par des taillis où le bois pousse dru ;
C’est dans ces environs que le grand Pan mourut,
Dont plus d’un vieux conteur encore a de la peine.
Entre ces quatre murs n’entre nulle douleur,
Leur constructeur, dit-on, fut homme de valeur ;
Entre ces quatre murs est la sagesse enclose.
J’irai vivre là-bas, si tu me le proposes,
Et je n’emporterai que trois ou quatre choses ;
Du papier, des ciseaux, des crayons de couleur.
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