Sagesse du pluvian
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Taureau modeste
Sur les grands combattants je ne prends point modèle,
Mais sur l’agneau des prés, de ses soeurs escorté ;
Aux vaches je voudrais le bonheur apporter,
Donc tu ne me verras jamais me plaindre d’elles.
J’accueille chaque année les génisses nouvelles,
Elles qui de ma part n’ont rien à redouter ;
Ensemble nous allons les oiseaux écouter,
Qui de notre univers les mystères révèlent.
Je ne néglige point mes premières amours
(Du temps où Cupidon me joua quelques tours) ;
Dans le fond de mon coeur la flamme n’est pas morte.
Les veaux, par politesse, écoutent mes discours
Dont le contenu n’est pour eux d’aucun secours ;
L’un d’eux, parfois, sourit, et ça me réconforte.
Oraison de l’ours
Je dirai le Pater dans une langue pure,
Qui est du Créateur le texte favori :
C’est un bénédictin qui me l’avait appris,
Je parle en d’autres lieux de sa noble figure.
Il rendait lumineux le sens des Écritures,
Lui qui fut de savoir et de sagesse épris ;
D’une certaine ascèse il connaissait le prix,
Un rouge coeur battait sous sa robe de bure.
Il disait la grandeur d’une âme qui pardonne,
Mais aussi son repos quand elle s’abandonne ;
Sans crainte il vit venir son ultime sommeil.
Intense fut sa vie, sans être aventureuse,
Lui qui, sans hésiter, la disait savoureuse
Comme le pain bien tendre ou le nectar vermeil.
Forteresse interdite
Cette tour n’est point là pour les simples mortels,
Un fier démon réside entre ses murs de pierre,
Un être qui jamais ne ferme ses paupières ;
Ce monstre communie à de sombres autels.
De son bras droit, il lève un sinistre martel
Dont un seul coup pourrait te mettre au cimetière ;
Serais-tu donc pressé de dormir sous le lierre ?
Je sais que, pour ma part, je ne veux rien de tel.
Il rit de ton épée, de ton arc, de ta lance,
Mais nul ne le saura, car il rit en silence ;
C’est vraiment l’ennemi des hommes et des dieux.
Un scribe s’informa sur lui dans un grimoire,
Ce fut un exercice éprouvant pour ses yeux ;
Le texte, aussitôt lu, sortit de sa mémoire.
Les deux mains du Créateur
Entre les mains de Dieu, qui donc peut se tenir ?
Plus rien n’est à saisir quand l’âme s’évapore ;
Du posthume sermon que le prêtre élabore
Tu ne verras jamais un miracle advenir.
Que penser d’un vieillard qui voudrait rajeunir ?
Oublie-t-il que nos vies n’ont qu’une seule aurore ?
L’éternelle survie n’est qu’une métaphore,
Au tombeau va le corps, ce n’est pas pour dormir.
Entre ses mains, dis-tu, je remettrai mon âme ;
Mais d’un feu bien éteint nul ne garde la flamme,
Plus ne peut un défunt son latin réciter.
Cet « In manus tuas », ce fragment de poème,
Je ne me lasse point d’admirer sa beauté
Quand je viens méditer parmi les chrysanthèmes.
Oiseau dément
Je vois sur une branche un volatile fou,
Car jamais il ne chante, il papote, il délire ;
Intarissablement, lui qui n’a rien à dire,
Et non pas presque rien, mais vraiment rien du tout.
Les grands arbres eux-mêmes en sont poussés à bout,
Ils voudraient qu’un félin croquât ce triste sire ;
J’entends, tout près de moi, le chêne qui soupire,
Dénonçant ce discours qui ne tient pas debout.
Ulysse redoutait le chant de la sirène,
Mais plus loin sur sa route il oublia sa peine ;
Or, ici, nous avons un fléau permanent.
Cet oiseau me répond « Ce n’est rien de tragique,
Plusieurs autres que moi vont ainsi cancanant,
Donnant même à la chose un sens pédagogique ».
Doigt qui montre un astre
Le Sage a désigné la Lune ensommeillée,
De regarder son doigt le disciple aurait tort ;
Tous deux sont revêtus de robes mal taillées,
Leur établissement ne roule pas sur l’or.
Leur porte grince un peu, la serrure est rouillée,
Une fenêtre laisse entrer le vent du Nord ;
Leur petite maison n’est jamais verrouillée,
Sauf, assez rarement, quand tout le monde sort.
Pour un tonneau de vin, le Maître vend ses bottes,
Même si son breuvage est surtout de la flotte ;
Deux verres devant lui toujours sont disposés.
Qu’a-t-il donc découvert, ce vieil homme qui pense ?
D’une belle trouvaille il n’a point remembrance,
Mais un petit sonnet suffit à l’apaiser.
Seigneur chaussé de magenta
Ce comte aime arborer des souliers fantaisistes
Qui lui furent offerts par le baron de Crac,
Lequel en son bagage en avait tout un sac ;
Plus d’un contemporain le prend pour un fumiste.
D’autres l’ont regardé comme un surréaliste,
C’est notamment le cas de ses copains de fac ;
Il pourrait figurer dans la Rubrique-à-Brac,
Lui dont la silhouette inspire les artistes.
Nous admirons aussi sa chemise fripée,
Son cheval fatigué par maintes équipées
Et son vaste chapeau, rose et faramineux.
Tu l’entends au comptoir parler en hyperboles,
Avec lui, tout sujet se change en sac de noeuds ;
La grammaire est noyée, les mots se carambolent.
Les sept disques
Tu vois sur ce blason sept reflets planétaires,
Ceux de ces corps guidés par une juste loi ;
Au tourteau mercurien le goût d’un fruit des bois,
Son frère vénusien semble une orange amère.
Pour le tourteau terrien, la fragrance éphémère,
La saveur du martien évoque on ne sait quoi ;
Le lourd disque jovien étonne par son poids,
Le tourteau saturnien est comme une chimère.
Nul ne contestera la grâce de Neptune,
Astre fort éloigné, rarement entrevu,
Que poursuit dans le ciel un cortège de lunes.
D’un fier besant d’argent notre monde est pourvu ;
La Lune de chez nous, qui n’est pas trop lointaine,
Vient se baigner le soir dans l’eau de nos fontaines.
Hippocéros introuvable
Moi qui n’existe pas, je n’ai donc pas de père,
Je ne sais si je fus dans un rêve d’Adam ;
Mais on va me créer, tout au moins, je l’espère,
Avec une âme forte et des désirs ardents.
Je suis l’hippocéros, entouré de mystère,
J’ai plus ou moins l’aspect d’un étalon fringant ;
Je n’ai pas le projet d’être célibataire,
Je veux tirer parti de mon corps élégant.
Je peux d’une licorne enrichir le lignage,
Et que ma descendance en soit le témoignage,
Eux qui de ma valeur reprendront le flambeau.
Veux-tu prier pour moi, grande licorne blanche ?
Tourneras-tu vers moi tes yeux couleur pervenche ?
Je suis sur le point d’être, il n’est rien de plus beau.
Dame raisonnable
Au coin du feu se tient la dame assise,
Par un doux rêve est son esprit bercé ;
Des souvenirs en ordre dispersé
Forment en elle une trame imprécise.
Le bois sec brûle et les flammes lui disent
Un mot qui vient son esprit traverser ;
Quant à prétendre un tel secret percer,
Je ne le fais, ce serait vantardise.
Près de la dame est un sage reclus
Qui avec elle un accord a conclu,
Ce lien résiste au flot du temps qui passe.
Ils ont parlé sur de nombreux sujets,
Ils ont aussi partagé leurs projets ;
Ils sont heureux dans ce petit espace.
Nef du garonnosaure
Ce modeste vaisseau n’est pas une trirème,
Mais un léger esquif, manoeuvré sans effort ;
C’est plutôt reposant pour mon robuste corps,
La minuscule voile est bordée sans problème.
D’avancer sur les flots, mon plaisir est extrême,
Mais aussi de passer d’un bord à l’autre bord ;
Je m’amuse à jurer par les mille sabords
Ou bien par le trépas du vieil Être Suprême.
Le fleuve semble issu du monde originel
Et sa source le lieu d’un retour éternel ;
L’ondine de Garonne ignore la souffrance.
Des rêves par milliers, tel sera mon butin,
Qui pourront transcender les vaines apparences ;
Des songes lumineux dans le petit matin.
Planète Pasternacandra
Ce lointain corps céleste est une étrange Terre
Avec des continents aux contours imprécis ;
Tout leur savoir se trouve en de fumeux récits,
Pas bien dignes de foi, d’ailleurs, ils n’y croient guère.
Tu n’y trouveras point de caste militaire,
Ni de durs argousins, ni de flics sans merci ;
Eux, qui de s’enrichir n’ont jamais le souci,
Sont sobrement nourris de sagesse précaire.
Ils portent leur manteau dans les grandes chaleurs,
Montrent dans leurs musées des objets sans valeur ;
Quand ils deviennent vieux, leur main jamais ne tremble.
La planète a des jours qui durent plusieurs mois ;
Au soir de chacun d’eux surgissent des chamois
Qui montent sur les toits pour y chanter ensemble.
Monstre vénérable
Très bizarre d’aspect mais pas vraiment sauvage,
Il semble accommodant, mais ce n’est pas certain ;
Il arpente le fond des océans lointains,
Sans pourtant se lancer vraiment dans un voyage.
Il raconte sa vie en un obscur langage
À chaque fois qu’il peut rencontrer des humains ;
Car il aime avec eux faire un bout de chemin
Sans jamais se charger d’inutiles bagages.
Il affirme qu’il est satisfait de son sort,
Rien ne lui a jamais demandé trop d’efforts ;
Nul ne lui imposa de charge ni d’astreinte.
Aimant des fonds marins la subtile clarté,
Il pense qu’il ne va jamais les déserter,
Car en ces profondeurs il peut vivre sans crainte.
Nuage égaré
En ayant cru planer vers un beau ciel d’été,
J’ai franchi le miroir, comme le fit Alice ;
Dans un air refroidi, péniblement, je glisse,
J’ai presque l’impression que je suis arrêté.
Je me demande en quoi ma vie va consister
Dans ce fol univers imprégné de malice ;
Si c’est Dieu qui le veut, je boirai ce calice
En lui offrant les pleurs de mon coeur attristé.
Moi, j’aimerais revoir le pays des cigales
Dont je regrette bien la douceur sans égale ;
Je m’en suis éloigné, mais sans l’avoir voulu.
Merci à vous d’avoir écouté mon histoire,
Le candide récit d’un bonheur révolu ;
Je commence à présent mon temps de purgatoire.
L’oiseau de la taverne
Ce volatile aisé mène la belle vie,
Il est heureux, sans doute, en attendant la mort ;
Il n’eut jamais besoin de faire trop d’efforts,
C’est une créature aisément assouvie.
Un brave commensal à boire le convie,
On leur verse du vin, pas plus haut que le bord ;
Les clients de ce bar ne roulent pas sur l’or,
Jamais ne fut aux gains leur personne asservie.
Cet oiseau paresseux ne vole pas très loin,
Car il se laisse vivre, et reste dans son coin ;
Ses deux refuges sont le comptoir et la table.
Le reste du cosmos ne le regarde pas,
Vers des lieux familiers il marche à petits pas ;
Toute banalité lui semble délectable.
Trois dieux ichtyomorphes
Au Père sont les profondeurs brûlantes,
Cet inframonde où périt la raison ;
Des fiers démons les sombres oraisons
Quand il est là se font moins virulentes.
Le Fils entend les vestales qui chantent,
Chacune sur le seuil de sa maison ;
Leurs douces voix sont une floraison
Apprivoisant les puissances méchantes.
L’Esprit-Poisson régit d’autres plaisirs,
Avec les trolls il plaisante à loisir ;
Cela fit rire un Empereur de Chine.
Les poissonniers, hommes de peu de foi,
Pour les piéger firent une machine ;
Mais ce ne fut qu’un système à la noix.
Apôtre qui plane
Ce messager qui traverse les cieux
Porte en son coeur la Vierge Souveraine ;
Son clair discours donne à l’espèce humaine
Le vrai chemin pour s’approcher de Dieu.
Il vagabonde, il est sans feu ni lieu,
Mais il n’est point de ceux qui se promènent ;
Avec méthode il parcourt les domaines
De mille rois pour qu’ils se guident mieux.
Quand tous les morts quitteront leurs tombeaux,
De la sagesse il tiendra le flambeau ;
Rien ne pourront les diablesses cornues.
S’il vient te voir et te dit quelques mots
Tels qu’il en dit à tous les animaux,
Que la leçon soit par toi retenue.
Ange d’un jeu de cartes
Sur la joueuse il pose un regard apaisant;
Sa couleur est toujours choisie comme atout maître ;
Il se croit supérieur, sans le laisser paraître,
Aux rois qui contre lui se vont coalisant.
Même, il est envers eux quelquefois complaisant,
Lui qui ne veut jamais les attaquer en traître ;
Les valets ne sont point ravis de le connaître,
Surtout celui de coeur, un être malfaisant.
Les as, remplis d’orgueil, jamais ne le regardent,
Disant qu’on l’a placé dans ce jeu par mégarde ;
Ils eussent préféré qu’on y mît un vizir.
Tard dans la nuit les gens jouèrent et causèrent,
Puis au fond d’un tiroir les cartes ils posèrent ;
L’ange dormit, rêvant aux Ailes du Désir.
Re: Sagesse du pluvian
Wahou, très très beau ! Ça faisait longtemps que tu n'en avais pas écrit d'aussi bien.
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Localisation : Drôme du Nord (Rhône-Alpes-Auvergne - France)
Identité métaphysique : La mienne
Humeur : Fluctuante
Date d'inscription : 31/10/2011
Re: Sagesse du pluvian
Le point de départ :
François de Louvencourt a écrit:
C’est un valet de cœur (dit-elle en le baisant)
Qui ne m’est pas valet je le tiens pour mon maître :
Aussitôt j’aperçois en mes cartes paraître
Une reine de pic, qui m’allait bien duisant.
Que cette reine ici, répondis-je (en faisant
Mine d’avoir bon jeu) bienheureux me fait être.
Il me semble que c’est un aube qui vient naître,
Et me vient éclairer comme un soleil luisant.
Voyant lors qu’à ces mots aucun ne prenait garde,
D’un œil tout plein de flamme un regard je lui darde :
Quel plus beau pair jamais eussions-nous pu choisir ?
Nos yeux furent les as, qui le gain nous causèrent,
Et nos pieds sous la table amoureux se baisèrent,
Si bien qu’il nous en vint un souverain plaisir.
Re: Sagesse du pluvian
C'est complètement différent et n'a plus rien à voir ou presque rien à voir, si ce n'est la base du support qui ne tient qu'à un fil.
Bien je trouve ce que tu en as fait !
Bien je trouve ce que tu en as fait !
Nuage- Seigneur de la Métaphysique
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Démon des reliques
Dans l’inframonde obscur, des trésors il apporte,
Y compris des chiffons de diverses couleurs ;
Un linge que porta la Dame des Douleurs,
Le bonnet d’un ermite ou la clé de sa porte.
Ces reliques, dit-il, rendent son âme forte,
Ainsi que le fumage améliore les fleurs,
Un martyr, s’éloignant de sa vallée de pleurs,
Laisse au monde un fatras d’objets de toute sorte.
Un éléphant défunt, la vermine le ronge
Et les démons non plus ne s’en priveront pas ;
Maître Vautour en lui sa chauve tête plonge.
Notre héros, pourtant, n’en fait point son repas,
Il conserve leur trace au-delà du trépas ;
Quelques âmes de saints le viennent voir en songe.
Forteresse magique
Le sorcier ne veut point du secours d’une armée,
De sa propre défense il se porte garant,
Par des enchantements sont les portes fermées
Et par de gros lézards, d’invisibles varans.
Des prêtres invoquant la Déesse Innommée
Combattent les démons, sans effort apparent ;
Ces ennemis s’en vont (sous forme de fumée),
Ne laissant derrière eux qu’une odeur de safran.
Jamais rien de cela dans nos livres d’histoire,
Lesquels ne disent rien des magiques victoires ;
Le modeste enchanteur trouve que c’est tant mieux.
Ce bâtiment se dresse au Pays des Mystères
Où sont de braves gens, sobres mais pas austères,
Eux qui ont pour monarque un brave petit vieux.
Vin du sacrificateur
Ce nectar passera de l’amphore au calice,
Nous verserons le sang d’un bouc au bord de l’eau ;
Dans la nuit, nous serons éclairés de falots,
Et, pour nous assister, des spectres sans malice.
Plus tard, nous parlerons à la lune complice,
Puis nous éveillerons la dame au jardin clos ;
Ensemble nous prendrons le frais sur un îlot,
Ou bien nous passerons par le miroir d’Alice.
L’amphore est un cadeau des gnomes du Ponant,
Ceux de qui nous tenons des savoirs étonnants ;
Ici, leur marchandise est grandement prisée.
Nous avons notre vigne au-delà des remparts,
Au sein d’une étendue clairement balisée ;
Raisins dont les oiseaux prennent souvent leur part.
Dame des jours de paix
Faute de combattants, la guerre s’arrêta,
Cette Dame de Paix se trouva seule au monde ;
Chevauchant longuement près de la mer profonde,
Elle atteignit, au soir, les rives d’un delta.
Un ascète paisible à dormir l’invita,
Partageant avec elle un peu de vin burgonde,
Puis ils ont grignoté quelques galettes rondes ;
Elle aima l’ermitage et plus ne le quitta.
En la fosse ne sont ni vaincus ni vainqueurs ;
Près des tombes se perche un vieux corbeau moqueur
Dont les ricanements se perdent dans la brise.
La Dame de la Paix ne craint plus les périls
Des grands champs de carnage où les destins se brisent ;
Elle a quelque regret des combattants virils.
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